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réelle, si l’on ne s’appliquait à réparer tous les ans les pertes qu’il éprouve. On atteindra sans peine un tel but en proportionnant les doses d’engrais aux quantités de vins obtenues, à la végétation des vignes et à la nature du sol. Il ne faut pas oublier surtout que les terres crayeuses ou calcaires hâtent la décomposition des engrais organiques et sont peu abondantes en substances salines, tandis que les sols argileux offrent des conditions précisément contraires.

Si parfois on emploie d’abondantes et actives fumures qui répandent au loin l’excès de leurs émanations ammoniacales et sulfurées, comme cela se remarque dans les vignobles d’Argenteuil, aux environs de Paris[1], ce n’est pas, tant s’en faut, que l’on espère améliorer ainsi le vin : c’est uniquement en vue d’accroître la production des gros plants, au point d’obtenir de cinq à dix fois plus de vin que n’en donneraient les fins cépages sur les crus renommés. C’est aussi parce que, dans ces localités, ni la température moyenne du climat, ni l’exposition, ne permettraient d’y produire des vins fins[2], tandis que, d’un autre côté, la proximité de la capitale facilite les débouchés des vins communs. D’ailleurs les petits vins ainsi obtenus présentent encore l’avantage de rehausser par leur acidité la saveur un peu fade des gros vins du midi, avec lesquels on les coupe à dessein.

Ce ne sont pas seulement les fumures trop abondantes qui pourraient, en développant outre mesure la production du raisin dans les bons vignobles, rendre le jus plus aqueux, amoindrir l’arôme du fruit, et altérer par suite le bouquet du vin : on aurait à redouter de semblables effets de la part des plants trop jeunes ou trop souvent renouvelés par le provignage[3]. Il faut craindre enfin tout ce qui peut porter vers les organes de la fructification une sève trop abondante, trop aqueuse[4]. Le bon entretien des vignes sans provignages

  1. Ces engrais infects résultent de l’accumulation des boues de la ville de Paris qui séjournent durant deux années en tas considérables aux abords des champs de vignes sur le territoire de la commune d’Argenteuil. Ce n’est qu’après les plus rapides dégagemens des vapeurs nauséabondes si désagréables aux propriétaires voisins que l’on peut répandre l’engrais sans avoir à craindre une action trop vive, qui serait nuisible à la végétation. Les fumiers de ferme conviennent bien mieux dans les terres à vigne de la Champagne. Dans la plupart des vignobles, les engrais à décomposition lente tels que les débris des tissus de laine ou de soie, les râpures de corne, les os en poudre, sont préférables encore. On y ajoute avec profit les cendres des foyers, qui fournissent des sels alcalins utiles à la plante.
  2. Nous devons dire cependant que, par des cultures expérimentales sur un des coteaux d’Argenteuil bien exposés, M. J. Guyot, après avoir substitué au gamay des plants fins de pineaux, a pu obtenir des vins comparables à ceux de plusieurs de nos crus renommés.
  3. Dans la Côte-d’Or, on entretient les cépages en se bornant à provigner en proportion des pertes qu’éprouvent les ceps par vétusté ou par suite des intempéries des saisons.
  4. Le grand vin du Clos-Vougeot par exemple se prépare exclusivement avec des raisins de très vieux ceps.