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d’un honnête homme, se refusant à livrer l’entrée de son pays aux ennemis acharnés qu’il avait toujours combattus.

Ne serait-ce pas le moment pour le cabinet de Londres de reconnaître enfin qu’il a fait fausse route, qu’il se prépare gratuitement un échec moral au lieu d’un triomphe ? Quel intérêt peut avoir pour l’Angleterre l’existence à l’embouchure du San-Juan d’une ville indépendante peuplée en majorité d’Américains, hostile par conséquent à son influence, et faisant cause commune avec Aspinwall, Mobile et la Nouvelle-Orléans ? Comment ne voit-on pas que la solution proposée aurait précisément pour effet immédiat de détruire cet équilibre et cette neutralité du canal futur dont le traité Clayton-Bulwer a proclamé le principe ? Les Américains, eux, ne s’y trompent pas. Leur enthousiasme pour sir William Ouseley est à la hauteur du service qu’ils en attendent. Le nouveau ministre des États-Unis à Managua, M. Dmitry, aide de tout son pouvoir au succès de son collègue, même en remettant sur le tapis la question des 30 millions[1], si souvent réclamés par son prédécesseur, le général Mirabeau Lamar. N’y a-t-il pas dans cette seule unanimité de tendances et d’action un indice accusateur contre le système suivi ? Est-il rationnel que deux diplomaties et deux nationalités s’entendent si bien dans une question où leurs intérêts sont diamétralement opposés ? Nous livrons ces réflexions au cabinet anglais. Il y a dix-huit mois que le traité de commerce et de protection reste à l’état de lettre morte faute de la ratification royale ; il y a quinze mois que le général Martinez se réfugie dans l’abstention et l’inertie pour échapper à l’alternative du ministre britannique. C’est une situation sans issue, indigne d’une grande nation et des qualités personnelles de sir William Ouseley, mais qui donne la mesure de l’étrange façon dont les affaires américaines sont comprises en Europe, aussi bien, hélas ! par la France que par l’Angleterre ; peut-être aussi justifie-t-elle à plus d’un égard la tentative sur laquelle je voudrais recueillir ici quelques souvenirs.


FELIX BELLY.

  1. C’est le chiffre de l’incroyable indemnité réclamée par les États-Unis aux deux républiques de Costa-Rica et de Nicaragua pour les dommages causés aux citoyens américains établis dans le pays par l’invasion des flibustiers américains et la guerre qui en a été la conséquence !