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l’abus de la force. L’intervention britannique de 1848 était aussi menaçante pour l’indépendance de l’Amérique centrale que le furent plus tard les tentatives violentes du flibustérisme. Elle a été le point de départ des défiances de l’opinion américaine, des colères et des excitations de la presse, des théories exclusives connues sous le nom de doctrine Monroë, et de toutes les complications qui en sont sorties, et elle est encore aujourd’hui une pierre d’achoppement pour le succès de la mission de sir William Ouseley.

J’ai dit que San-Juan-del-Norte comptait à peine trente ans d’existence, bien que la légende espagnole en fasse remonter l’origine au dernier voyage de Christophe Colomb. Jusqu’à la fin de 1847, rien n’avait encore révélé l’importance de cette ville. Le Nicaragua traversait, avec des alternatives de paix et de guerre, la crise intestine qui a bouleversé toutes les républiques hispano-américaines depuis 1821. Il n’y avait pas de transactions régulières entre l’intérieur et l’extérieur, et rarement un bâtiment de commerce s’aventurait dans ces mers ignorées. Cependant, par le seul fait de sa position au fond d’une rade naturelle et à l’embouchure d’un grand fleuve promis à de grandes destinées, la ville s’était développée peu à peu, et l’autorité du Nicaragua y était représentée par un gouverneur et par quelques soldats. Tout à coup, le 1er janvier 1848, on vit entrer dans le port trois navires de guerre anglais garnis de plus de canons qu’il n’y avait de maisons dans le village. Il en descendit un jeune homme de race indienne, en costume d’officier de marine, qu’on appelait George-Frédéric, et qu’on traitait en roi. Ce jeune homme était accompagné de M. Patrick Walker, consul-général de sa majesté britannique, et d’un nombreux état-major. Les équipages armés suivirent leurs chefs. On abattit le drapeau du Nicaragua pour le remplacer par le pavillon mosquite, que les trois frégates saluèrent de leur artillerie. On installa, au nom du roi, un gouverneur mosquite à la place du gouverneur nicaraguien. On lui donna pour conseil et pour auxiliaire un ancien officier anglais sans emploi, et les bâtimens se retirèrent, emmenant George-Frédéric à Bluefield, sa résidence officielle, après avoir exécuté sans coup férir ce changement à vue.

Cependant la conquête n’était pas définitive, et elle devait coûter cher à celui qui en avait été sans doute l’instigateur. Le gouvernement de Nicaragua, dépossédé de son unique port sur l’Atlantique, répondit à la violence par la violence. Ses troupes descendirent le fleuve, rentrèrent dans la ville, s’emparèrent des autorités mosquites, et rétablirent le statu quo antérieur. Il fallut une seconde expédition, plus sérieuse que la première, pour consolider l’usurpation. Une nouvelle escadre, qu’on avait appelée de la Jamaïque