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en brèche par les démocrates, et où l’on avait hâte de voir l’Angleterre renoncer à ses prétentions sur le Honduras et sur la Mosquitie. Elle avait surtout été accueillie avec une grande satisfaction dans les malheureux pays que l’invasion flibustière avait dévastés, parce qu’elle y apportait une promesse implicite de garantie et de protection. Et comme chez ces peuples de race latine aucune réglementation de leurs droits et de leurs intérêts ne saurait avoir lieu sans le concours de la France, toute l’Amérique avait supposé, avec la logique des esprits jeunes, que la France allait envoyer, elle aussi, un négociateur dans le pays, pour agir de concert avec le plénipotentiaire de la Grande-Bretagne. On était alors dans toute la ferveur de l’alliance anglo-française, que venaient de cimenter les triomphes de la question d’Orient, et il était naturel de penser que les deux inséparables ne se sépareraient pas dans le règlement de la question d’Occident, la plus grosse peut-être de l’avenir.

L’opinion, qui voit toujours plus juste que les gouvernemens, s’attendait donc à une nouvelle manifestation de l’entente cordiale sur le terrain le plus favorable à son développement, lorsque mon nom, jusque-là obscur, se trouva tout à coup mêlé à ces grands intérêts, grâce aux besoins d’excitement de la presse américaine, dont les étranges déductions avaient pénétré jusqu’au Nicaragua. Sans consistance apparente, les rumeurs propagées par les journalistes américains puisaient une certaine vraisemblance dans mes travaux antérieurs, ou plutôt dans les sympathies nationales que ces travaux m’avaient values. Quand les peuples souffrent d’ailleurs, ils acceptent aveuglement toute illusion qui répond à leurs besoins. Or l’Amérique centrale sortait à peine d’une crise désespérée où son désespoir seul l’avait sauvée. Grenade n’existait plus. Les villes de Rivas et Managua étaient à moitié détruites. Toutes les familles de Costa-Rica portaient le deuil. Le dixième de la population de Nicaragua avait péri ; toutes les grandes propriétés avaient été ravagées : ni armée, ni munitions, ni commerce, ni industrie, ni ressources d’aucune espèce pour réparer tant de pertes, mais la menace constante de nouvelles invasions que le général Mirabeau Lamar semblait tenir en réserve, et que le désaveu du commodore Paulding devait encourager. Cette situation explique la réception qui me fut faite. C’est à la France que cette réception s’adressait, et c’est à la France qu’on accorda, six semaines après, cette concession de Rivas, qui comprenait, selon la parole même de mes adversaires, le plus magnifique monopole du monde.

Je devais rester trois ou quatre jours à Grey-Town, car, dans l’état des communications avec Costa-Rica, il fallait attendre qu’on eût envoyé des chevaux ou des mules de San-José. J’acceptai donc la