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massif de lauriers-roses, de grenadiers et de jasmins d’Arabie en fleurs embaumait l’entrée du jardin botanique : c’est, je crois, la seule institution publique de Saint-Thomas, qui n’a ni bibliothèque, ni musée, ni théâtre ; encore cette création éminemment tropicale n’est-elle qu’à l’état d’ébauche. Là commençait une longue rue de deux kilomètres, parallèle à la mer, où je m’engageai résolument. C’est la rue commerçante et le boulevard de la cité, à laquelle aboutissent tous les magasins tabulaires dont j’ai parlé, et qui sert de trait d’union aux trois mamelons réguliers de la ville haute. Elle est presque droite, très propre, très fréquentée, bordée de trottoirs de dalles, et elle coupe à angle droit toutes les rues qui descendent de la montagne à la mer. Je rencontrai dans une de ces ruelles latérales le marché aux légumes qu’approvisionnent les îles voisines, notamment Sainte-Croix et Porto-Rico. J’y remarquai beaucoup de farineux énormes de l’espèce des ignames, mêlés avec des pommes de terre, des haricots secs, des bananes, de la morue et des cannes à sucre coupées en tronçons, le tout étendu par terre devant des négresses accroupies et souriantes. Un autre marché moins important occupait plus loin une petite place carrée bordée d’une double rangée de tamariniers. J’allais ainsi devant moi, par une chaleur très supportable, retrouvant la mer étincelante au bout de chaque rue traversière de gauche, surprenant à droite, du côté de la montagne, tantôt de petits palais étages en gradins, tantôt la perspective fuyante d’une vallée ombreuse, et jouissant par-dessus tout, avec un bien-être inexprimable, de l’air délicieux et fortifiant que je respirais à pleins poumons.

La race noire domine le mélange de toutes les races qui peuplent Saint-Thomas. C’est le contingent légué par l’esclavage des anciennes possessions espagnoles ; mais le souffle de la liberté a bien vite fait disparaître la prétendue infériorité de l’Africain, et il n’y a plus aujourd’hui à Saint-Thomas, comme dans tous les pays où a retenti l’affranchissement de 1821, qu’une seule infériorité positive, celle de la pauvreté devant la richesse. Les noirs et les blancs subissent également les exigences de la fashion particulière aux pays chauds, qui consiste surtout dans du linge de toile fine, dans un panama de prix et dans l’irréprochable fraîcheur d’un costume blanc. Le type des bohémiennes de la jetée se retrouvait, plus ou moins pur, à tous les degrés de l’échelle sociale, quelquefois avec toute l’élégance d’une toilette parisienne. Le hasard me fit même entrer dans un temple protestant qui ressemblait à une pagode indienne, où l’on arrivait par un escalier bordé de cocotiers et inondé de femmes de toutes les couleurs. On y procédait à je ne sais quelle cérémonie religieuse destinée aux enfans. La plupart de ces enfans étaient