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depuis le hambourgeois jusqu’au sarde. Il en a été brisé soixante-quatre dans le port, en 1854, par un de ces ouragans des Antilles qui bouleversent les rades les plus sûres. La France figure chaque année dans ce mouvement pour environ cent cinquante bâtimens jaugeant en moyenne 150 tonnes : c’est peu ; mais il ne faut point oublier que nos colonies sont placées sous un régime spécial, qui n’est pas de nature à favoriser notre cabotage tropical. La France d’ailleurs lutte difficilement dans ces pays lointains avec le bon marché des États-Unis et de l’Angleterre. Elle y a bien conquis, comme dans toute l’Amérique espagnole, le monopole des soieries, des draps riches, des vins naturels et de quelques autres marchandises de choix ; mais elle est primée pour tout le reste par l’exportation aventureuse et universelle des Américains du Nord, par les étoffes soie et coton et les draps communs de l’Angleterre, par les relations naturelles de la colonie danoise avec sa métropole et avec Hambourg, le débouché principal de la presqu’île Scandinave aussi bien que de l’exportation germanique.

Mais ce qui rend pour les étrangers ces relations commerciales souvent équivoques, c’est le change des monnaies. J’ai dit qu’on parlait à Saint-Thomas toutes les langues du monde ; on y rencontre aussi toutes les monnaies possibles, et toutes y sont l’objet d’un agio effréné. L’unité monétaire du pays, comme de nos Antilles, est la gourde, l’ancienne piastre espagnole, valant de 5 fr. 30 c. à 5 fr. 40 c. Les fortunes s’estiment dans les Antilles par gourdes comme nous les estimons par francs, et l’on peut dire que dans beaucoup de cas, vu le haut prix de la main d’œuvre et des produits du dehors, vu surtout les habitudes largement dépensières de la vie coloniale et américaine, il y a peu de différence entre la valeur absolue de la gourde et celle du franc. Toutefois, si la gourde est l’unité monétaire, elle n’est pas le régulateur du change. Ce rôle appartient au doublon appelé indépendant, valant en moyenne 16 gourdes et venant des républiques sud-américaines. Ce doublon qu’on ne frappe plus, qui devient par conséquent de plus en plus rare, n’en est pas moins le type préféré, sur lequel tous les cours se règlent, et que la spéculation maintient toujours à un taux très élevé. Entre ces deux points extrêmes, la gourde et le doublon, toutes les formes et toutes les valeurs d’or et d’argent circulent à Saint-Thomas, sous la réserve d’un change désastreux au profit du négociant ou du changeur du pays. L’or américain lui-même, le plus apprécié de tous, n’est accepté en paiement de marchandises qu’avec un escompte de 5 pour 100. C’est une source de bénéfices réguliers dont le chiffre est illimité, et que l’on multiplie à toutes les occasions et sous tous les prétextes. Pour trois pièces françaises de 20 francs, je