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Quels qu’ils soient, ses successeurs ne le pourront pas, quand même ils le voudraient. La vérité est plus forte que tous les pouvoirs officiels. Je ne crains donc pas que le président du corps législatif abuse jamais, contre l’esprit de la chambre, du droit qu’il a de faire rédiger les procès-verbaux. Je dois seulement remarquer, quoique je sois loin de le craindre en ce moment, que, s’il se rencontrait un jour une chambre des députés qui fût animée d’un esprit contraire à celui du gouvernement et un président qui partageât cet esprit de résistance, ou qui y cédât, rien ne serait si facile au président du corps législatif que de donner aux procès-verbaux un accent hostile et menaçant, et de les répandre partout dans le pays à l’aide des journaux qu’il tient dans sa main, puisqu’il a seul le pouvoir de leur communiquer le récit des séances de la chambre des députés. — Hypothèse fort invraisemblable ! dira-t-on. — Je le sais bien ; je ne l’ai faite que pour caractériser le pouvoir du président du corps législatif, devenu pour ainsi dire le grand maître de la publicité.

i Cette direction de la publicité, qui est une machine redoutable, puisqu’elle peut servir également à étouffer et à exciter l’opinion publique, n’a-t-elle pas quelque part un contre-poids dans la constitution ? La chambre des députés et les députés eux-mêmes n’ont-ils pas aussi une publicité qui leur appartienne et qui soit indépendante du contrôle régulateur du président ? Je n’ai trouvé dans la constitution qu’un seul article qui conserve aux députés ce qui était autrefois de droit commun dans les assemblées délibérantes : c’est l’article 79 du décret organique du 31 décembre 1852, qui déclare que « tout membre du corps législatif peut, après en avoir obtenu l’autorisation de l’assemblée, faire imprimer et distribuer à ses frais le discours qu’il a prononcé. » Le droit de chaque député est, comme on le voit, soumis à l’autorisation de l’assemblée, et la liberté d’opinion des minorités, chose qui nous semblait si importante dans nos anciennes assemblées, n’est guère respectée par, cet article ; mais à côté de cet inconvénient il peut y avoir un avantage : c’est que la majorité, en autorisant l’impression des discours, se les approprie jusqu’à un certain point ; elle en fait l’expression de son opinion, et il y a des momens où tel ou tel discours individuel peut devenir par le vote de l’assemblée le manifeste du corps législatif.

On voit d’après cet examen que les, précautions excessives prises contre la publicité des discussions et des discours du corps législatif peuvent quelquefois tourner contre elles-mêmes, et donner à la publicité dirigée par le président ou autorisée par la chambre une efficacité redoutable et contraire aux intentions de la constitution. Chercherons-nous maintenant à prévoir les modifications que