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et la nation n’existe pas assez, ou, n’ayant lieu que tous les six ans dans les élections, et d’une manière toute locale et tout individuelle, elle est sans efficacité. L’opinion publique se forme en dehors du corps législatif ; elle se forme par les bruits de la ville, par les conversations du jour ; elle ne pénètre pas dans le corps législatif, et surtout elle n’est pas réglée et avertie par les discussions du corps le plus populaire de l’état.

La publicité plus ou moins développée, plus ou moins quotidienne, des séances du corps législatif, est une question si importante, qu’il me paraît nécessaire d’examiner de près l’organisation de cette publicité, et les modifications qu’elle pourrait recevoir.

L’article 42 de la constitution a substitué le procès-verbal dressé par les soins du président du corps législatif aux anciens comptes-rendus des journaux. Le décret organique du 31 décembre 1852 détermine la manière dont ce procès-verbal est rédigé. L’article 74 de ce décret dit que « la rédaction des procès-verbaux des séances est placée sous la haute direction du président du corps législatif et confiée à des rédacteurs spéciaux nommés par lui, et qu’il peut révoquer. » L’article 76 ajoute que « les procès-verbaux contiennent les noms des membres qui ont pris la parole et le résumé de leurs opinions[1]. » C’est aussi « le président du corps législatif (article 78) qui règle par un arrêté spécial le mode de communication du procès-verbal aux journaux. » Le pouvoir du président du corps législatif est grand, comme on le voit ; c’est lui qui fait la lumière et qui la distribue ; il donne aux discussions l’allure qu’elles doivent avoir, non pas seulement par la présidence des débats, mais aussi par la rédaction des procès-verbaux ; il détermine la manière dont ces procès-verbaux, rédigés sous sa direction, sont communiqués au public, si bien que le pays ne voit les discussions de ses représentans que sous le jour et dans la perspective que veut le président du corps législatif.

J’aurais ici beau jeu, si j’étais un logicien, à critiquer ce pouvoir considérable, qui n’équivaut à rien moins qu’à faire du président du corps législatif l’arbitre et le régulateur suprême de la discussion officielle dans le pays ; mais je laisse de côté toutes les hypothèses, et je suis persuadé que jamais les procès-verbaux rédigés sous la direction du président du corps législatif ne donneront aux débats de la chambre des députés une expression différente de la vérité. Tel que je le connais, le président actuel ne le voudra jamais.

  1. L’article 13 du sénatus-consulte du 25 décembre 1852 dit que « le compte-rendu prescrit par l’article 42 de la constitution est soumis, avant la publication, à une commission composée du président du corps législatif et des présidons de chaque bureau. En cas de partage d’opinion, la voix du président du corps législatif est prépondérante. »