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peut, de liberté. La revanche de Waterloo, c’est l’abandon sans retour de la politique fatale qui a amené Waterloo.

Ce n’est pas que l’Angleterre ait été si constamment bien inspirée depuis quelques années qu’elle pût se dégager de toute responsabilité, si jamais une collision venait à diviser le monde entre elle et nous. Je suis loin, comme l’auteur d’un écrit d’ailleurs remarquable, l’Empire et l’Angleterre, de trouver dans tout ce qui s’est passé depuis quinze mois de nouvelles preuves de l’habileté et de l’influence du gouvernement britannique. Je crains que M. Dechamps, qui est, comme on sait, un des membres éminens du parti catholique belge, n’ait cédé à des préventions naturelles contre le protestantisme, lorsqu’au milieu d’observations et de conjectures que l’Europe fera bien de recueillir, il mêle des accusations un peu banales, un peu gratuites, qui grandissent l’Angleterre en la rendant odieuse, en méconnaissant à la fois ses intentions et ses erreurs. Ainsi, tandis que les uns semblent ne plus voir à Londres qu’un gouvernement de marchands crédules et débonnaires qui se paient de paroles et ne tiennent qu’à leur repos, les autres persistent à supposer l’Angleterre animée d’un génie remuant et machinateur qui par tous moyens arrive d’un pas infaillible à son but et domine ceux-là même auxquels il semble céder. L’amour-propre de nos voisins trouverait mieux son compte à cette dernière injustice ; mais franchement ils ne l’ont pas plus méritée que l’autre, et l’une comme l’autre pourrait entraîner nos deux pays dans une erreur funeste au bonheur de tous deux. Quant à nous, si une telle erreur devait prévaloir, nous n’aurions rien à dire, sinon que le monde verrait une guerre sans nécessité, sans intérêt, sans justice, mettre aux mains deux nations qui depuis quarante ans se sont quelquefois servies l’une l’autre et ne se sont fait aucun mal ; étrange gloire pour les cabinets des deux pays !

Mais il ne faut pas confondre avec l’idée d’une guerre purement dédiée à la vindicative vanité des nations les combinaisons, belliqueuses au besoin, de ces politiques dont la pensée voyage sur les bords du Rhin ou de l’Escaut. Quoique peu disposé à les y suivre, nous reconnaissons que l’état des affaires ne se refuse pas absolument à des spéculations qu’en d’autres temps on aurait traitées de visions dangereuses. Il n’est pas jusqu’à ce remaniement complet de la carte d’Europe qu’un heureux élève de Voltaire fait improviser dans un dîner aux convives qu’il invente, ou plutôt qu’il déguise, dont la pensée ne doive paraître plus sérieuse que la forme. Ces idées ne viennent point par hasard, dans un moment plutôt que dans un autre : elles sont liées cette fois à une opinion qui depuis un temps a pris de la consistance. C’est que la question d’Orient va