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ses titres. La guerre, la conquête, le commerce, l’action de quelques hommes nés pour donner des lois au monde, ont souvent, favorisés par les accidens du climat ou du sol, composé et maintenu des sociétés multiples dans leurs élémens, et dont l’unité a résidé tout entière dans une solidarité historique entre tous leurs membres. La nationalité polonaise, qui, ensevelie toute vivante, s’agite encore dans son cercueil et trouble parfois le monde de ses gémissemens, aurait de la peine à soutenir scientifiquement contre ses oppresseurs l’existence indépendante, l’unité distinctive qu’elle réclame, et le panslavisme est l’argument trouvé tout exprès pour lui démontrer qu’en la tuant on la fait vivre, et qu’on la reconnaît en l’effaçant. Que réclame-t-elle donc au vrai ? Non un privilège de race, mais sa place historique.

C’est peut-être au reste une indignation juste, mais tardive, contre le partage de la Pologne, qui a le plus contribué à propager, à accréditer en Europe l’argument tiré de la nationalité. On voudrait, et certes ce vœu est légitime, que jamais spoliation aussi criante ne vînt de nouveau flétrir les pages de l’histoire ; mais ce vœu, mais le sentiment de justice politique qui l’inspire n’a ses fondemens que dans certains faits complexes et notoires qui sont présens à la mémoire de tous les hommes, et non dans les recherches des érudits ou les témoignages des physiologistes. Ces faits sont plutôt de l’ordre moral que de l’ordre matériel : ces faits sont les souvenirs d’une nation.

Or les choses morales, c’est-à-dire les sentimens et les idées en politique, sont l’ouvrage des événemens. Il y a peu de peuples, — y en a-t-il même ? — qui puissent prétendre à une unité plus caractérisée que celle du peuple français. Il n’y en a pas un qui eût plus mérité qu’on inventât pour lui cette locution fameuse : se mouvoir comme un seul homme. Qui pourrait soutenir cependant que les causes autres que la politique aient une grande part à cette vigoureuse constitution de notre nationalité ? J’en appelle au sentiment patriotique des braves habitans de l’est de la France : faut-il une antique communauté d’origine, d’antécédens et de langue, faut-il une incorporation qui se perde dans la nuit des temps pour ranger, pour rallier des populations bien diverses sous la loi d’une forte et indivisible nationalité ? La révolution et les guerres de la révolution ont plus fait pour l’unité de l’est de la France que n’auraient fait dix siècles.

Félicitons-nous donc si dans les conseils de l’Europe la nationalité est devenue un objet digne de considération. Espérons que des peuples, ces corps vivans, ne seront plus coupés en morceaux qui remuent tout sanglans comme les tronçons d’un serpent ; mais ne nous laissons pas séduire ou troubler par ce mot de nationalité toutes