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Cela est vrai encore, mais prête à une fausse interprétation. À mon sens, l’instinct primaire d’où découlent presque toutes les différences qui ont marqué la destinée et qui distinguent le caractère des races actuelles du midi, c’est une irrésistible répugnance à reconnaître un impossible ; elles ont toujours été disposées à croire sans mesure aux miracles de l’éducation, à expliquer toute supériorité individuelle par le seul effet d’un savoir acquis que tous pouvaient également acquérir. Avec je ne sais quel mélange de volupté et d’indolence, l’homme du midi a reculé devant les vérités pénibles : il n’a pas voulu s’avouer les limites de ce qui était laissé à sa volonté, et il a préféré s’abandonner aux idées les plus agréables. Il s’est accordé le plaisir d’espérer tout ce qu’il pouvait désirer, de penser qu’il n’avait point à compter avec les aptitudes ou les incapacités de naissance ; il s’est laissé aller à la douce persuasion qu’avec de l’adresse on pouvait tricher Dieu et la nature, qu’il suffisait pour cela de connaître les bons tours. Aussi n’a-t-il employé ses facultés qu’à découvrir ces habiles recettes qui pouvaient enseigner à tous l’art d’écrire des Iliades sans être un Homère, de raisonner sans avoir l’esprit logique, d’être un grand homme dans ses actes, quoiqu’on fût né sans intelligence, l’art magique, en un mot, de faire pousser sur les buissons tous les fruits qu’on pouvait désirer, de produire les effets sans avoir besoin des causes, de rendre les individus et les peuples capables d’obtenir les bons résultats, capables même d’avoir toutes les vertus pratiques, sans qu’ils fussent tenus d’acquérir d’abord aucune faculté ni de renoncer au droit de garder leurs mauvais penchans. Si je ne me trompe, c’est bien cette incapacité ou cette répugnance à voir comment la volonté humaine n’était pas souveraine qui a rendu le midi si crédule à l’égard des grammaires, des traités de poésie, des arts d’aimer, de se sauver et de gouverner ; c’est bien là aussi ce qui l’a rendu si docile et si patient pour subir pendant des siècles les trois imités de la tragédie, les habiles régimes de gouvernemens, les despotismes académiques, théocratiques, politiques et classiques ; il avait beau être la victime de toutes ces ingénieuses tactiques, elles le prenaient par son faible, en se donnant comme le dernier mot du savoir-faire. Cet esclavage d’ailleurs était inévitable ; tant que l’on a foi au savoir-faire, tant que l’on cherche les combinaisons qui peuvent conduire également tous les hommes, quelles que soient leurs aptitudes ou leurs inepties, à produire de beaux tableaux, de beaux poèmes, de beaux effets de tout genre, on ne peut absolument que prendre un seul et unique parti : on est réduit à organiser une autorité qui enlève aux esprits la direction d’eux-mêmes, qui, pour assurer à tous l’avantage de créer les œuvres