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romaines ; de sa dignité prétentieusement correcte et de sa froide morgue aristocratique, qui ne visaient qu’à mortifier les hommes simples, qu’à leur donner, par ses masses nues, ses redites emphatiques et ses amplifications de colonnades, une écrasante idée de la richesse des maîtres du palais, sans jamais condescendre à préparer pour eux ces fêtes de feuillages et de fleurs sculptées, ces spectacles sans cesse variés de formes grotesques et de scènes émouvantes, que la cathédrale gothique, comme la poésie d’un Shakspeare, offrait aux pauvres et aux ignorans, pendant que par ses grandes lignes elle parlait aux hommes d’art et aux larges esprits. Pour résumer les idées de M. Ruskin, le système de construction et le système de décoration de la renaissance ne manifestent que trop fidèlement l’esprit de l’aristocratie du clergé et des lettrés du jour. Comme la poésie pseudo-païenne des XVIe et XVIe siècles, l’architecture est essentiellement un art d’apparat, de sensualité et d’étiquette : c’est une flatterie de marbre et de pierre à l’adresse de la vanité des grands, et qui pis est de la vanité qui trouve sa joie à mépriser ; c’est un déploiement de galeries, de portiques, de vastes salles et de pompeux escaliers, comme en peuvent rêver l’indolence et la luxure, qui n’ont d’autre souci que le plaisir. L’ornementation semble se faire une loi de n’admettre aucun détail qui puisse vraiment intéresser la pensée, aucune beauté qui puisse vraiment émouvoir, de peur que l’attention ne soit ainsi détournée de tous les étalages de pure magnificence par lesquels le monument entend éblouir et exciter l’envie. Enfin c’est une architecture d’aristocratie oisive qui ne tend qu’à s’asservir au cérémonial le plus factice, pour se faire une plus flatteuse gloire d’être initiée à des futilités que le vulgaire ignore, et de savoir estimer des choses qu’il n’est pas naturel d’aimer. Même dans ce qu’ils ont de meilleur, c’est-à-dire dans l’ordonnance générale de leurs proportions et dans le fini de leur exécution, les édifices de cette école ne sont encore que des compositions de grammairiens et de cicéroniens. La suprême ambition de l’artiste est de phraser avec élégance et correction ; il s’inquiète de bien dire plutôt que d’avoir quelque chose à dire, et toujours il est prêt à sacrifier l’édifice à sa propre vanité, au souci de se faire valoir lui-même, en affichant à tout propos et hors de propos sa parfaite connaissance des belles convenances et l’irréprochable pureté de son goût classique. Ce qui reste d’imagination et de verve au milieu de toutes ces prétentions se dépense à inventer des concetti et d’ingénieux contre-sens, à placer une tête de satyre sur un voussoir, à faire d’un monument sépulcral une ridicule charade, à imiter des rideaux d’étoffe avec du marbre, ou à masquer péniblement par d’ennuyeuses entailles les jointures des assises de moellons.