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par le chant mon âme aux autres âmes et m’enivrer d’enthousiasme… Était-ce donc là un crime ?… Le rossignol qui chante dans le buisson voisin, l’entends-tu (et elle s’interrompit un instant pour écouter) ?… est-il plus criminel que le passereau muet qui sautille là-bas sur la route ? L’hirondelle qui nous quitte à l’automne pour revenir au printemps vaut-elle moins que le rouge-gorge qui peut vivre sur les arbres glacés ?… — Elle s’arrêta un instant suffoquée. — Cet air m’étouffe ! reprit-elle avec effort. Je veux partir tout de suite, aujourd’hui !…

— Oui, nous partirons, calme-toi, dit Jean d’une voix entrecoupée par la douleur.

— Tu ne dis pas cela sérieusement ; tu penses que je ne sortirai jamais d’ici… Je veux vivre, je vivrai ! s’écria-t-elle. N’as-tu pas dit toi-même qu’un jour viendrait où le Bengali chanterait libre sous un ciel toujours pur ?… Je veux le voir, ce ciel, je veux chanter. J’ai de la voix encore ! — Et elle voulut dire une phrase de Mozart. Les notes ne sortirent pas de sa poitrine brisée.

— Tais-toi, je t’en conjure, répétait Jean en lui serrant la main.

Hermine était tout à fait hors d’elle-même. Elle fit un suprême effort, puis retomba dans les bras du jeune homme en murmurant d’une voix navrante : — Je ne peux pas !

Ses forces l’abandonnèrent, sa respiration s’embarrassa. Jean, fou de désespoir, la tint dans ses bras pendant plus d’un quart d’heure sans parvenir à la ranimer. Hermine rouvrit enfin les yeux et promena autour d’elle des regards qui ne voyaient pas. Jean songea alors qu’il fallait à tout prix la ramener au couvent. Il l’étendit à l’ombre d’un sapin et descendit jusqu’à la grand’route qui tournait le pied de la montagne. C’était jour de marché dans un village des environs. Jean arrêta d’autorité la charrette qu’un meunier ramenait chargée de sacs vides. Quelques pièces d’argent montrées à cet homme le déterminèrent à suivre Jean jusqu’à l’endroit où gisait Hermine.

Une demi-heure plus tard, Hermine était couchée dans sa chambre, au couvent. Le médecin, aussitôt appelé, déclara à la supérieure qu’il était urgent de prévenir les parens de la jeune fille. Jean refusa d’écrire la lettre. Il s’installa dans la chambre d’Hermine, et ne la quitta que bien avant dans la soirée, sur les injonctions répétées de la supérieure. Hermine d’ailleurs ne lui semblait pas plus mal. Elle avait repris son calme, presque sa gaieté ; elle faisait tout haut des projets pour le lendemain, et tout bas disait à Jean : — Je vais mieux, nous partirons bientôt.

Il était dix heures environ quand Jean lui dit adieu. À minuit, la voyant calme, la sœur converse qui la veillait se laissa aller au sommeil.