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Il faisait nuit lorsque Jean entra dans la chambre d’Hermine. La lueur incertaine d’une petite lampe éclairait vaguement les traits amaigris, les formes frêles du Bengali. Comme la Ginevra, Jean se laissa d’abord tromper par les rayons que le bonheur mit dans les yeux d’Hermine, par les ardentes couleurs dont l’émotion couvrit ses joues. Au milieu des premières effusions de tendresse, il la plaisanta presque sur ses pensées funèbres. Hermine riait aussi de ce qu’elle appelait de folles terreurs ; elle oubliait la fièvre, sa faiblesse, la toux qui brisait sa poitrine quelques instans auparavant.

— Je bénis la maladie, je bénis surtout ma lâcheté, puisque sans elle je ne t’aurais peut-être pas revu de longtemps, répétait-elle à Jean.

Puis elle le questionnait sur ses voyages, sur ses nouvelles amitiés, sur les ennuis de sa situation présente. Elle s’inquiétait de la pâleur, de l’expression pleine d’abattement et de tristesse que l’amour combattu, la révolte impuissante, la continuelle torture d’une vocation contrariée avaient déjà fixées sur le front de Jean. Cependant la grâce, la bonté du sourire, l’abandon sympathique avaient survécu chez Jean à la fougue aveugle de la première jeunesse. L’accent de sa voix révélait une tendresse plus profonde, plus protectrice. Hermine ne se lassait pas de le contempler, de l’entendre.

Les instans étaient comptés. À neuf heures, toute personne étrangère devait avoir quitté le couvent. Hermine et Jean se promirent de passer toute la journée du lendemain à la campagne. En principe, les dames pensionnaires étaient libres d’aller et de venir dans le bourg du Faouët et dans les environs ; mais bien peu d’entre elles usaient de cette permission, et si Hermine, la plus jeune, la seule belle de toutes, eût franchi la grille du couvent, elle eût certainement essuyé les reproches de la supérieure. Aujourd’hui son état de santé justifiait toutes les infractions à la coutume. Personne ne s’étonna de la voir sortir avec Jean.

— C’est une fantaisie de malade. Elle ne pourra pas aller loin. Veillez à ce qu’elle ne se fatigue pas, dit tout bas une religieuse à Jean, comme il traversait un étroit corridor à la suite d’Hermine.

Cette recommandation banale déchira le cœur de Jean. Quoiqu’il prît encore pour de la force, pour l’activité de la vie ce qui n’était chez la jeune fille qu’une surexcitation fébrile, il était consterné depuis qu’il avait vu Hermine au grand jour. Il ne comprenait pas que deux années d’emprisonnement eussent pu amaigrir à ce point ses traits, blêmir ses lèvres, plomber ses yeux, altérer le son de sa voix, courber sa taille. Il l’examinait furtivement avec désespoir, convaincu maintenant que ces symptômes révélaient quelque lésion mortelle.