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Le lieutenant entendit un matin un bruit extraordinaire dans la chambre habitée par Hermine. Depuis la scène qui l’avait séparée de sa fille, il exigeait que Mme Tranchevent fût toujours auprès de lui, pour être certain qu’elle ne voyait pas Hermine. Il était alors dans la chambre même de Mme Tranchevent, placée au-dessous de celle d’Hermine. Le bruit continuait. Caroline entra et se mit à broder sans dire un mot. Le lieutenant l’observait.

— Que fait-elle ? murmura-t-il enfin avec un visible effort.

— Elle fait ses malles, mon père, répondit Caroline, les larmes aux yeux.

Le lieutenant prit une plume et traça quatre mots sur un papier : « Où comptez-vous aller ? » Puis il tendit silencieusement le papier à Caroline, qui se leva et sortit.

Hermine frissonna en reconnaissant l’écriture de son père ; mais elle ne savait pas mentir. « À Paris, chez la Ginevra, » écrivit-elle au-dessous de la question du lieutenant, et elle tomba accablée dans un fauteuil. Toutes les douleurs du passé, ces douleurs presque oubliées, se réveillèrent. Une heure plus tard, elle recevait la lettre suivante.

« J’avais résolu de n’avoir désormais rien de commun avec vous ; mais, devant la résolution que vous m’annoncez, le silence serait un crime. Au nom de votre mère, au nom de votre sœur, au nom aussi de l’amour que je vous ai porté, je viens vous supplier d’avoir pitié de nous, d’avoir pitié de vous ! — N’ajoutez pas le scandale à la honte, n’étalez pas publiquement notre déshonneur à tous ! — S’il vous reste encore quelque sentiment honnête dans l’âme, vous ne pouvez souhaiter que deux choses aujourd’hui, la clémence de Dieu et l’oubli des hommes. Ces deux choses, l’obscurité d’un couvent peut seule vous les donner ; c’est dans un couvent que vous devez vivre. — Si vous vous avilissez, l’abandon, le désespoir ne vous serviront pas d’excuse. Celui à qui vous avez ôté plus que la vie veut bien encore s’occuper de vous. — Dans la maison de retraite du Faouët, où nous avons visité autrefois une amie de votre mère, la pension annuelle est de six cents francs. Quelque énorme que soit cette somme, qui représente près du quart de mon revenu actuel, je consens à la payer pour vous. De longues années d’expiation et de repentir ne suffiront pas, je le sais, pour vous rendre l’estime des hommes : ce bien, le plus précieux de tous, vous l’avez irrévocablement perdu ; mais les murs du cloître vous préserveront du moins des railleries et du mépris. — Un dernier mot encore : dans un an et quelques mois, la loi vous fera libre. L’honnête homme qui n’ose plus maintenant regarder un honnête homme en face, le père dont vous avez brisé le cœur, vous conjure de l’épargner. »