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— Que ne m’avez-vous écoutée ? répétait Louise à son mari.

Écrasé par ce dénoûment inattendu, Firmin ne trouvait pas un mot à répondre.

— Malheureux enfans ! dit le lieutenant à voix basse.

— Je n’ai rien à me reprocher ; je vous avais prévenu, murmura Mme Louise en se retournant vers son beau-frère.

— Que prétendez-vous dire ? s’écria vivement le lieutenant.

— Rien, rien… fit Mme Louise d’un ton plein d’insinuations venimeuses. Les yeux du lieutenant s’injectèrent de sang. Firmin faisait des ronds sur le plancher avec sa canne pour se donner une contenance. Mme Tranchevent aînée n’osait prononcer une parole de peur de déplaire à son mari.

— J’espère que votre fils va rejoindre au plus vite son régiment, dit tout à coup Mme Louise en s’adressant à son mari. Voyant tous ceux qui l’entouraient indécis et troublés, elle s’était résolue à enlever d’assaut la situation.

— Nous verrons cela, … balbutia Firmin sans lever les yeux.

Le lieutenant était assis en face de son frère. Son coude s’appuyait sur son genou, et son menton sur sa main. Ainsi posé, la tête agitée par un tremblement convulsif, il fixa pendant quelques secondes sur Firmin un regard chargé d’ironie et d’amertume. Firmin, mal à l’aise, comme opprimé, essaya de lever les yeux, puis les abaissa aussitôt en rougissant. — Je jure, s’écria tout à coup le lieutenant en donnant sur une table placée près de lui un coup de poing qui ébranla tout l’appartement, je jure sur l’honneur que de mon consentement Hermine n’épousera jamais son cousin… Vous êtes tranquilles maintenant ? ajouta-t-il avec un calme terrible en regardant l’un après l’autre son frère et sa belle-sœur.

— A leur âge, dans leur position, c’eût été une véritable folie, dit Mme Louise, ravie de son succès.

Mme Tranchevent essuya en cachette deux grosses larmes.

— On pourra voir plus tard, quand Jean aura quitté le service, hasarda timidement Firmin.

— Comment ! encore !… cria le lieutenant avec un éclat de voix qui fit frissonner tous ceux qui l’entouraient.

Un silence complet suivit cette exclamation. On n’entendait que le tic tac de la pendule et le choc des aiguilles à tricoter de Mme Tranchevent. Louise et son mari ne trouvaient pas la force de partir ; à peine osaient-ils se regarder. Il leur semblait que le moindre mouvement, le moindre bruit allaient amener une effroyable catastrophe. Ils tremblaient de réveiller le lieutenant…

Des pas précipités retentirent dans l’escalier. La porte fut violemment ouverte, et Jean apparut blême, égaré. Après un moment