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— Venez donc faire votre service, monsieur Jean, cria-t-elle gaiement au jeune homme. — Jean remplissait chaque matin dans un puits creusé au milieu du jardin les arrosoirs de sa tante. Hermine regagna sa chambre et se mit à pleurer. Jamais elle n’avait vu aussi distinctement le fond de sa destinée. Les tortures passées n’avaient pas été une maladie de son âme, comme elle le croyait encore quelques heures auparavant : c’était une conséquence nécessaire, fatale, de sa position. Jean si plein d’ardeur et d’espérance, Jean si confiant, si heureux de vivre, qu’il supposait partout la vie et le bonheur, Jean la condamnait à choisir entre une rupture avec sa famille et une vie d’intolérables souffrances.

Les jours suivans, Hermine ne descendit pas au jardin, elle n’échangea avec son cousin que des paroles insignifiantes. Jean ne semblait pas s’en étonner. Cette indifférence apparente ajoutait, sans qu’elle se l’avouât, au désespoir d’Hermine. Elle dut faire d’incroyables efforts pour cacher à ceux qui l’entouraient son absolu découragement. Jean n’était pourtant pas un grand comédien. Le lieutenant remarqua qu’il restait inactif pendant des journées entières, qu’il devenait distrait et rêveur. Le marin plaisantait volontiers son neveu sur sa mélancolie. — Je vois que tu en as assez de la Bretagne, lui dit-il un matin. — À la voix de son oncle, Jean tressaillit comme un homme réveillé en sursaut. Depuis plus de deux heures, il arpentait sans le savoir la même allée du jardin. — Prends patience, les vacances vont bientôt finir. Si l’on t’attend un peu à Paris, tu n’en seras que mieux reçu au retour.

— Dans le sens que vous entendez, personne ne m’attend à Paris, dit Jean.

— Allons donc ! reprit le lieutenant ; vous jouez tous à l’homme sérieux aujourd’hui. De mon temps nous étions plus francs ; nous ne rougissions pas de nos vingt ans, de l’âge où l’on n’a qu’une préoccupation, celle d’aimer et de se faire aimer si l’on peut.

On était au lundi, et Jean devait partir le vendredi. À la rigueur, il aurait pu passer encore quelques semaines en Bretagne ; mais la rentrée des classes avait lieu le lundi suivant dans la pension de Cyprien, et Mme Louise avait décidé que Jean reconduirait son jeune frère à Paris. Hermine se réjouissait presque de ce départ. Jean parti, elle allait retrouver le calme de la torpeur.

Le déjeuner fini, pendant qu’on causait encore dans la salle à manger, Jean s’approcha d’Hermine. — Je vous supplie de descendre au jardin, lui dit-il à voix basse, j’ai absolument besoin de vous parler.

— J’irai, dit Hermine.

Jean sortit aussitôt. Quand Hermine le rejoignit quelques instans