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Et après avoir montré dans tous ses détails à Hermine la masse gélatineuse qui forme, à un certain degré de son développement, le corps de la méduse, le lieutenant se mit à errer çà et là sur la plage, examinant les goémons, collectionnant des coquilles, cueillant la plante parfumée vulgairement nommée casse-pierre, et détachant des rochers les mollusques appelés berniques en Bretagne et arapèdes en Provence. En ce moment, le lieutenant était aussi jeune, aussi naïf, aussi enivré de liberté, de grand air et d’action qu’un écolier de quinze ans. Les natures honnêtes conservent jusqu’au bout de leur carrière le privilège de la gaieté innocente.

— Je ne comprends rien vraiment aux plaisanteries de Mlle Richard, dit Jean à Hermine, qui suivait le lieutenant à quelques pas de distance. Une âme ardente, le zèle même aveugle de la science, l’amour du luxe, de l’élégance, ne sont, il me semble, ni des ridicules ni des crimes.

La recherche des berniques avait déjà entraîné le lieutenant loin de sa fille et de son neveu. C’était la première fois qu’Hermine se trouvait en tête-à-tête avec son cousin. Elle aussi subissait l’influence du soleil, de la liberté et du grand air.

— Je ne vous comprends pas non plus, mon cher cousin, dit-elle à Jean avec une hardiesse qu’elle n’aurait jamais eue ailleurs ; vous avez, prétend-on, mené une vie extravagante, on parle de vous comme d’un écervelé, et vous prononcez les paroles les plus sages que j’aie jamais entendues ! Oh ! je le vois bien, ils se sont trompés, et vous êtes bon.

Jean, profondément ému, s’était approché d’Hermine ; il la regardait, fasciné. Une rafale de vent enleva des mains agitées de la jeune fille l’ombrelle sous laquelle s’abritait sa tête nue. Les deux jeunes gens coururent à la poursuite de l’ombrelle, et, riant, plaisantant, pour se cacher leur embarras, la disputèrent à une grosse lame qui l’emportait vers le large. Mme Louise Tranchevent apparut en ce moment, appuyée sur le bras d’Angélina.

— Je comprends maintenant pourquoi le lieutenant a appelé la belle Hermine, se dit-elle.

Le lieutenant continuait sa chasse aux coquillages et à la casse-pierre ; il fallut l’appeler à plusieurs reprises pour le ramener vers la tente. Le premier projet était de passer toute la journée sur la côte et de ne regagner le Port-Louis qu’au clair de lune : la lune devait être radieuse ce soir-là, mais Mme Tranchevent jeune déclara que le vent l’étourdissait, que l’air salé lui brûlait la peau. Que faire d’ailleurs sur cette plage aride ? Elle voulait partir au plus vite et proposait de dîner dans les bois de Keraven. Keraven était une très belle propriété, alors en vente, qu’elle était presque déterminée à acheter. Le lieutenant, très contrarié de ce projet, ne fit cependant