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peux rendre la vie aux êtres inertes qui t’entourent ; mais eux, un peu plus tôt, un peu plus tard, finiront par étouffer toute vie en toi. Certains milieux agissent à la manière des glaciers : leur action insensible et lente échappe à l’observation, un jour arrive pourtant où toutes les fleurs de la vallée ont disparu sous la masse pesante et morne. »

Quand la Ginevra se repentit d’avoir écrit cette lettre, Hermine l’avait déjà lue.

La malheureuse enfant se débattit quelque temps encore, puis toute lutte cessa. La correspondance avec la Ginevra s’arrêta presque absolument. Les lettres à Camille, expansives et interminables pendant les premiers mois qui avaient suivi leur séparation, devinrent courtes et insignifiantes. À la grande surprise d’Hermine, Camille ne semblait pas s’en apercevoir. Chose plus surprenante encore, les lettres de cette amie si tendre, si caressante, étaient depuis le premier jour brèves, embarrassées, froides même, quoiqu’un bon nombre d’épithètes passionnées y fussent semées à tort et à travers. Cette froideur fut d’abord pour Hermine une douloureuse déception ; puis elle se dit que son cœur, vide d’amour, se montrait trop exigeant envers l’amitié, et elle garda pour son amie une affection vive et profonde. Il était convenu que Camille viendrait passer quelques semaines à Hennebon dès le retour de la belle saison. Quand Hermine respira le parfum des premiers lilas et vit blanchir la première haie d’aubépine, l’espoir de se retrouver bientôt avec sa chère Camille lui rendit un peu d’insouciance et de gaieté. Deux lignes lues dans un journal par M. Tranchevent lui enlevèrent cette dernière illusion. Le Moniteur annonçait la nomination du père de Camille aux fonctions de préfet maritime à Cherbourg. Presque aussitôt un billet arriva, un billet de quelques lignes. Camille s’excusait de ne pouvoir aller jusqu’à Hennebon pour dire adieu à son amie, elle avait tant de préparatifs à faire ! Elle engageait vivement Hermine à venir passer quelques semaines près d’elle ; mais il était contraire aux principes du lieutenant qu’une jeune fille restât plusieurs jours éloignée de sa mère ; d’ailleurs, depuis sa mésaventure, il ne pouvait plus entendre de sang-froid nommer un port de mer. À vrai dire, M. Tranchevent s’accommodait fort bien de sa vie nouvelle. La promenade, le soin de ses coquillages, la lecture des journaux, les discussions politiques, le whist, surtout l’élucubration d’une nouvelle théorie des marées, remplissaient très agréablement ses journées. Quant à Mme Tranchevent, elle possédait ce qu’elle rêvait depuis bien des années, un jardin. Pour trois cents francs par an, la famille Tranchevent habitait une maison composée d’un rez-de-chaussée, d’un premier étage et de mansardes, avec une