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jeunes, les éternellement belles, — la fille de Pharaon, Velléda, Haydée, Francesca et Juliette, — devaient s’habiller, marcher, parler ainsi. Quant à Camille, elle ne vous entraînait ni sur les rives du Nil, ni vers les îles de l’Ionie ; on ne tourbillonnait pas avec elle dans l’espace immense, on ne s’égarait pas à sa suite dans la forêt sacrée, on ne mourait pas de sa mort. Devant Camille, on songeait au printemps, aux oiseaux, aux fleurs, aux rires éclatans, aux larmes folles, quelquefois un peu à la robe élégante qui faisait si bien ressortir sa taille, souvent, très souvent, à l’effet splendide que devaient produire sur ses épaules si blanches les flots dorés de sa magnifique chevelure, quand le soir, devant sa glace, elle la dénouait pour la nuit.

Pas de jalousie possible entre Hermine et Camille. Sans doute on s’occupait davantage d’Hermine ; mais ceux qui écoutaient religieusement son chant, ceux qui la proclamaient bien haut sans pareille, sans égale, répétaient peu après bien bas à Camille qu’elle seule était délicieuse, enivrante, et qu’ils donneraient tout au monde pour entendre sortir de sa bouche une parole d’amour. Camille n’en désirait pas plus.

Au moment même où la dangereuse amitié de Camille avait surexcité l’imagination d’Hermine et développé ses facultés aimantes, une autre liaison vint donner un essor puissant à ses instincts d’artiste. Le lieutenant Tranchevent reçut au mois d’avril 1846 une lettre qui lui rendit ses vingt-cinq ans pendant plusieurs heures. Cette lettre était écrite par une prima donna italienne que Tranchevent avait beaucoup connue, vers 1840, à La Havane. La Ginevra était restée simple et dévouée au milieu d’éclatans triomphes. Voyant à Cuba beaucoup d’officiers de la marine française, elle s’était prise d’amitié pour le brave lieutenant. Pendant une épidémie, elle avait tout négligé pour donner à Tranchevent des soins assidus qui lui avaient sauvé la vie. Tranchevent parlait souvent de la Ginevra, et toujours avec enthousiasme. Il y avait quelque arrière-souvenir de la prima donna dans l’importance qu’il attachait au talent musical de sa fille.

La Ginevra annonçait à Tranchevent son arrivée en France. Les médecins lui conseillaient de prendre des bains de mer, sa santé ayant été assez sérieusement altérée par une longue traversée. Elle avait d’abord songé à s’établir dans les environs de Nantes ; mais cette ville et surtout ses habitans lui déplaisaient tellement qu’elle voulait se rapprocher de ses anciens amis de la marine, et priait Tranchevent de lui louer un appartement pour trois mois. Tranchevent fit avec joie ce que lui demandait la prima donna ; il n’hésita point à la recevoir dans sa famille dès le premier jour de son arrivée à