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et c’était surtout ses dispositions que Charles-Jean avait voulu consulter. Il adressa au storthing jusqu’à dix propositions de changemens dans la loi fondamentale, demandant avant tout le veto absolu au lieu du veto suspensif. En même temps il fit d’une part approcher une armée et une flottille suédoises pour intimider le storthing, et de l’autre répandre par des émissaires et des pamphlets la doctrine que la constitution avait été octroyée par le roi, qui pouvait la réviser ou même la retirer. « J’ai pour moi, écrivait-il alors, la masse du peuple et l’armée, et je pourrais faire tout ce que je voudrais, si je croyais le moment venu de frapper un grand coup. » Apparemment il ne crut pas le moment venu, bien que les Norvégiens lui répondissent en refusant la plupart de ses propositions et en célébrant comme fête nationale le jour anniversaire de la constitution d’Eidsvold, 17 mai, au lieu de la journée du 4 novembre. Ils persistèrent dans ces mesures hostiles une fois prises ; le storthing de 1824 et les suivans refusèrent le veto absolu, et Charles-Jean y renonça enfin en 1839. Quant à la fête du 17 mai, toute la représentation y prit part en 1827, et ce fut le motif d’une émeute sanglante en 1829. Si la fin du règne de Charles-Jean fut de ce côté plus tranquille, ce fut bien en partie parce que le vieux roi s’était lassé, et que, sans conserver d’illusions sur son œuvre, accomplie à la vérité au milieu de difficultés considérables, il s’en remettait à son fils et au temps pour la corriger et l’achever.

Cette œuvre ne pouvait être corrigée ni achevée à moins qu’on ne la refît tout entière en la recommençant sur d’autres bases. Il fallait à tout prix réviser de concert avec la Norvège le pacte d’union, qui est, on a pu s’en convaincre, un modèle de rédaction incomplète et vague, un monument de confusion et d’imprévoyance ou de profonde dissimulation. Le roi Oscar, scrupuleusement constitutionnel, ne préparait nulle perfidie et ne méditait nulle violence ; il fallait donc, pour que la Suède ne continuât pas à être dupée à la suite d’un contrat si mal réglé, que l’on convînt nettement de part et d’autre des conditions réciproques et du point de départ. Sans doute beaucoup de mal était déjà fait en 1844, et la situation morale de la Suède en présence de la Norvège n’était plus ce qu’elle avait été en 1814, mais il y avait quelques chances encore de s’entendre, et l’on devait faire tous ses efforts, en essayant d’effacer le passé, pour obtenir que le caractère de l’union fût nettement tranché. Pendant toute la première moitié de son règne, Charles-Jean avait professé par ses actes, bien que son langage fût différent, qu’à ses yeux l’union comportait un certain amalgame qui devait être en quelque mesure au profit de la Suède, et il avait tenté de mettre ses prétentions en pratique sans y réussir. Ce fut le tort de son fils