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résultait un des inconvéniens de la guerre de 1854, du moins aux yeux de ceux qui comptent pour quelque chose les droits et les vœux des nations. Elle ne pouvait être sagement entreprise sans que l’on ménageât l’Autriche, et le premier des ménagemens nécessaires était le soin de lui donner sécurité sur ses possessions italiennes. Non-seulement les deux puissances alliées devaient s’engager à n’y pas porter le trouble, engagement facile à prendre et à tenir, mais elles devaient encore les garantir moralement, pour ainsi dire, à leurs maîtres ombrageux, et renoncer à exercer avec un peu d’insistance le rôle protecteur qu’elles avaient pris dans les états situés au midi des Alpes. On se rappelle qu’alors l’Angleterre, la France même, appuyaient de leur influence les réclamations du Piémont, les doléances de la Lombardie et de la Vénétie. On avait commencé, la première surtout, à appeler l’attention sur l’état de l’Italie centrale, sur le gouvernement du royaume des Deux-Siciles. Il se pouvait donc que, dans l’intérêt de la guerre projetée, on fût réduit à la dure nécessité de retirer toute faveur à l’Italie, de la sacrifier, pour ainsi dire, au succès d’une cause qui intéressait plus directement la balance de l’Europe. Ce danger fut heureusement paré par le gouvernement sarde. Une détermination prise à propos, avant même que l’Autriche hésitante se fût prononcée, fit entrer le Piémont dans l’alliance anglo-française, et réunit son contingent à nos deux armées. On peut s’en souvenir, cette résolution surprit le public et fut d’abord peu comprise. C’est un des actes de politique les plus remarquables dont il nous ait été donné d’être témoins. Par là, le cabinet de Turin s’attirait la bienveillance nécessaire de la France et de l’Angleterre ; il les retenait sur la pente où les plaçait l’intérêt de leur commune entreprise, et prévenait cet abandon absolu de la cause italienne que l’Autriche aurait pu exiger pour prix de sa coopération. Il obtenait au moins que la balance fût égale entre l’Autriche et le Piémont. L’un devait entrer sur le même pied que l’autre dans le congrès qui devait suivre la fin des hostilités, et l’on sait comment, en présence même du ministre de Vienne, le négociateur piémontais parvint à faire prononcer officiellement par un congrès ce nom de l’Italie qu’on avait rayé de la carte politique, et même écrire dans un procès-verbal qu’elle avait des plaintes et des griefs à faire entendre. Ce fut là un coup de partie pour le Piémont, et quiconque a des yeux put voir déposer ce jour-là en terre féconde la semence de ce qui devait croître et fructifier plus tard.

A partir de ce moment, ce qu’on avait pu soupçonner devint visible, ce qu’on avait pu deviner devint manifeste, et ceux que les importans événemens du commencement de 1859 ont pris entièrement au dépourvu avaient volontairement tenu fermés leurs yeux et leurs oreilles. La politique du Piémont était aussi claire que le jour.