Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/115

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du droit de propriété reconnu d’autre part ? Bernadotte ne se présentait-il pas au nom de la victoire et de la conquête ? Avait-il promis à la Suède un véritable agrandissement qui la fortifiât à l’intérieur, augmentât sa richesse et sa puissance, ou bien n’aspirait-il qu’à une simple union pour la montre et pour l’apparat ? Assurément il eût préféré qu’on lui abandonnât la Norvège à titre de province purement et simplement incorporée ; mais, pressé par les alliés, gêné par la promesse qu’il avait faite à l’Angleterre, dont il redoutait le mauvais vouloir, tremblant de voir échapper sa proie, comptant sur le lendemain pour compléter l’œuvre et s’affranchir peut-être des restrictions importunes, il n’examina pas de fort près le texte du traité, et y laissa introduire des termes qui sont aujourd’hui, au milieu des discussions perpétuelles entre Norvégiens et Suédois, une première et solide base en faveur de l’autonomie du peuple annexé. Le lendemain n’appartenait pas à Bernadotte, et c’est en partie ce qui le réduisit à laisser son œuvre si imparfaite. Peut-être, s’il lui eût été permis de se rendre immédiatement en Norvège, aurait-il pu prévenir les difficultés qui allaient compromettre tout le profit du nouveau traité.

Depuis un an, le prince Christian-Frédéric était en Norvège comme gouverneur au nom du roi de Danemark Frédéric VI. En apprenant la conclusion du traité de Kiel, il résolut de soulever la Norvège au nom de son indépendance. Il espérait sans doute conserver ainsi ce royaume à la couronne de Danemark, dont il était lui-même le futur héritier, plutôt qu’il ne comptait devenir le souverain d’un nouveau royaume ; mais la Norvège le prit au mot quand il lui parla d’indépendance et de libertés, et elle entendit fonder les siennes à la faveur des circonstances, pendant que le prince de Danemark la flattait d’une part, pendant que de l’autre le prince de Suède achevait de payer sa dette aux alliés. C’est ainsi qu’avant de décerner le titre de roi de Norvège à Christian-Frédéric, cent treize représentans norvégiens rédigèrent à Eidsvold, dans l’espace d’un mois environ, du 15 avril au 17 mai 1814, une constitution à laquelle il dut jurer de rester fidèle.

Si la charte d’Eidsvold avait été discutée, résolue, rédigée, reconnue et promulguée en un mois, elle n’en répondait pas moins, par son esprit général, aux traditions et aux souvenirs des Norvégiens. Sous les Harald, les Magnus et les Olaf, la Norvège avait jadis étendu sa domination sur tout le Nord. Une seule de ses colonies, l’Islande, avait été pendant plus de trois siècles une république florissante, et s’était ensuite confondue avec elle. L’éclat de la civilisation avait accompagné en Norvège celui de la force militaire. Non-seulement ses rois étaient entourés d’iarls puissans et de