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Six siècles s’étaient écoulés sans un seul progrès de la législation sur ce point. De plus, à la fin du règne d’Oscar, le 27 juillet 1858, une autre loi concéda aux femmes non mariées ayant atteint l’âge de vingt-cinq ans et ayant adressé au magistrat une demande expresse à ce sujet le droit d’administrer leurs biens en vertu d’une majorité reconnue. Ces deux réformes ont été des bienfaits assurément. Toutefois la condition des femmes en Suède n’est pas encore affranchie dans la mesure que réclame le progrès des mœurs et de la raison moderne. Ce n’est pas que nous en croyions uniquement les derniers livres de Mlle Bremer, dont les vues généreuses, mais exaltées, dépassent la juste limite ; mais sans parler du divorce, qui sert moins de remède contre l’incompatibilité des humeurs que d’aliment à la cupidité, à l’ambition, au caprice, et qui ruine toute dignité, la femme reste encore en Suède à certains égards, pour le mariage par exemple, dans une minorité perpétuelle, et peut-être l’esprit public ne l’a-t-il pas encore relevée entièrement de l’infériorité légale à laquelle on l’a vue si longtemps réduite.

Est-ce donc qu’il faille rejeter l’antique tradition du respect de la femme dans le Nord, ou bien la Scandinavie n’a-t-elle jamais, sous ce rapport, rien emprunté aux Germains ? Tout au contraire. Les anciens monumens du Nord nous montrent que les femmes y avaient une condition supérieure à celle qui leur était faite chez les peuples méridionaux. On les voit dans les sagas islandaises partager les travaux de leurs maris, assister aux combats, comme dit Tacite, pour encourager les braves et panser les blessés. Si la femme germaine, suivant l’historien romain, passe pour recevoir de plus près l’inspiration divine, feminam cœlo propiorem putant, la femme islandaise, au temps du paganisme, prédit l’avenir et préside quelquefois au service des dieux dans les temples. À l’intérieur, loin d’être enfermée ou isolée comme la femme romaine ou grecque, elle est maîtresse de maison, responsable, active et honorée. S’il est vrai que l’ancien Scandinave a autour de lui bien souvent plusieurs femmes, la loi ne reconnaît cependant comme épouse légitime que celle qui a été légalement épousée. S’il est vrai que le divorce est permis dans les codes qui précèdent le christianisme, la femme légitime en peut dénoncer la formule tout aussi bien que l’homme, à la condition de prouver par-devant témoins que les motifs de sa résolution sont légitimes. Si elle est placée par la loi dans une minorité perpétuelle, si elle ne peut hériter et posséder qu’à peine, c’est que la loi veut la protéger sans cesse, mais comme dans les temps de barbarie et de violence, en pourvoyant à l’avance à tous ses besoins, en l’entourant et la sauvegardant à l’excès. Le tort de la Suède moderne est simplement d’avoir laissé trop longtemps subsister