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états. » Les écrits d’Hotman et d’Hubert Languet indiquent les mêmes tendances. Néanmoins pour la majorité des assemblées, il est évident que leur organisation politique était toute de circonstance, bornée à leur parti, et quoi qu’on ait pu dire, nécessitée par les événemens. C’était, dit-on, établir un état dans l’état ; c’était rompre l’unité française, cette précieuse unité, idolâtrie permanente de nos politiques, et à laquelle on a sacrifié tant d’idées justes et généreuses, sans parler du sang versé. Si cette constitution politique d’un parti était un mal, à qui la faute après tout ? La Saint-Barthélémy, toute récente, excusait un peu ces précautions des protestans, et on ne voit pas qu’ils eussent d’autre moyen de prévenir le retour possible d’une pareille journée.

Cette histoire, écrite avec une impartialité sévère, une science calme et étrangère à toute préoccupation systématique, contient plus d’une leçon dont nous pourrions encore profiter. Le Journal de Daniel Charnier, publié par M. Charles Read, est un service rendu à la même cause. Charnier a été activement mêlé aux événemens dont M. Anquez a fait l’histoire générale : sa biographie et son journal nous montrent tout le détail des misères dont l’énergique conviction des protestans dut triompher. Le journal de Charnier est le récit écrit par lui-même et pour lui seul d’un voyage qu’il fit à Paris, afin d’obtenir d’Henri IV de nouvelles garanties pour les églises réformées. Le Béarnais s’y montre tantôt menaçant, tantôt câlin, mais jamais net. Sa réputation classique de franchise était depuis longtemps fort entamée par les publications diverses qu’on a faites autour de son nom. Peut-être trouvait-il, dans les événemens de ce temps et dans les passions irritées et exclusives qui l’entouraient, une excuse pour ces habiletés si compliquées ; mais il faut avouer qu’on nous avait fait de lui un tout autre portrait. Quant à Charnier, on l’y voit tout à la fois ferme et modéré, habile et loyal, scrupuleux dans les petites choses comme dans les grandes, et notant avec soin ses dépenses pour la couchée et la disnée, au milieu des préoccupations si graves dont il était chargé et dont il porta dignement le poids. C’était un bon homme et un héros, car il mourut sur la brèche, au siège de Montauban, d’un boulet reçu en pleine poitrine. Avant la publication de ces documens, recueillis par le savant éditeur avec une piété consciencieuse, M. Prévost-Paradol, ici même, l’annonçait comme un véritable service rendu à l’histoire. Cette publication est quelque chose de plus peut-être, et la morale aussi peut y gagner ; il y a dans une telle vie, si simple et si forte, des enseignemens dont les plus humbles existences peuvent et doivent faire leur profit. On ne saurait trop encourager ces utiles études : elles nous font pénétrer plus avant dans l’histoire du XVIe siècle, si riche en vertus énergiques et en généreuses tentatives, le vrai grand siècle celui-là, et qui recevra ce nom de l’histoire, quand on saura préférer les époques viriles aux époques simplement brillantes, et estimer à leur juste valeur les grandes actions unies aux grandes pensées.


EUGENE DESPOIS.


V. DE MARS.