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duits à calmer les jalousies de l’Angleterre à l’endroit de l’Algérie. Du temps du malheureux régime parlementaire, à qui nous devons la conquête de l’Algérie, lorsque cette colonie, à laquelle nous donnions en effet le plus pur de notre sang et de notre or, était sinon une cause d’affaiblissement, du moins une sérieuse entrave pour notre politique extérieure, car la guerre d’Afrique occupait alors l’élite de nos généraux et de nos soldats, bien des esprits sages jusqu’à la timidité regrettaient l’énormité du prix que nous mettions à cette conquête. Un homme d’état de ce temps s’en consolait en disant : L’Afrique est pour la France une école de persévérance ; un autre disait : C’est une école de soldats, et un troisième croyait les mettre d’accord par une spirituelle boutade en reprenant : De toute façon, c’est donc une école. Le morose plaisant a eu tort. Grâce à la persévérance que la France a mise à la conquérir, l’Algérie nous a donné la première armée du monde, et nous ne nous sommes pas sentis affaiblis lorsqu’en Crimée et en Italie nous avons recueilli les victoires dont, pendant vingt-cinq ans, nous avions semé les germes en Afrique.

Quoi qu’il en soit et malgré l’efficacité que devrait avoir la lettre de l’empereur à M. de Persigny, il ne serait pas prudent à la France de s’engager dans une nouvelle guerre sur la foi des bonnes dispositions présumées de l’Angleterre à notre égard. Les Italiens seront sages aussi de ne pas compter sur l’Angleterre pour prendre Venise. Garibaldi, il est vrai, est à la mode aujourd’hui parmi les Anglais. Les écrivains, les jeunes gens, les femmes, — car dans ce pays, en cela plus heureux que la France présente, les femmes animent la politique de leurs généreuses passions ou de leurs charmantes étourderies, — ont fait du héros italien leur lion de cette année. La fille de lady Palmerston, la comtesse de Shaftesbury, patronne la souscription du million de fusils. Ce serait être dupe que de ne pas voir qu’il se mêle à cette popularité anglaise de Garibaldi une taquinerie, une pointe d’hostilité contre la France : les Italiens feront donc bien de ne pas la prendre tout entière à leur compte. Quant à la guerre avec l’Autriche, les sympathies anglaises n’y feront rien pour l’Italie. Si nous nous en mêlions, il n’est pas sûr que lord Palmerston ne nous cherchât point querelle. Si nous ne nous en mêlons pas, lord Palmerston demeurera aussi pacifique devant cette lutte que M. Bright lui-même. Les Italiens sont trop fins pour s’imaginer que lord Palmerston, qui tient tant à la conservation de l’empire ottoman, puisse tenir à la destruction de l’Autriche.

Mais, nous dit-on de Turin, « vos reproches s’appliquent aux fautes que nous pourrons commettre dans l’avenir ; il nous est facile de nous disculper en disant que jusqu’à présent ces fautes, nous ne les avons point commises. » Nous n’adressons pas de reproches, nous montrons les écueils auxquels on va se heurter ; nous prions les Italiens de bien voir où le torrent les mène. Les chefs du gouvernement sarde diront-ils que nous exagérons les conséquences de l’entreprise de Garibaldi ? Mais nous ne faisons que le croire sur parole, et il est si peu chimérique de donner à ses déclarations la portée que nous y attachons, que de grands gouvernemens les tiennent