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la majorité des classes moyennes. Cependant on ne peut se dissimuler que chaque année voit augmenter le nombre des adhérens de ce qu’on appelle la théologie moderne. Depuis une dizaine d’années, la jeunesse universitaire en adopte de plus en plus les principes. Déjà ces principes se popularisent par les écrits et les prédications de jeunes et éloquens adeptes. En particulier, on est frappé du grand nombre d’hommes distingués, en dedans et en dehors du corps pastoral, qui ont abandonné le camp de l’orthodoxie, vers laquelle leur éducation ou leurs préférences premières les avaient d’abord dirigés, pour entrer franchement dans les tendances qui triomphent à Leyde. On ne peut, en tout cas, leur contester le mérite d’avoir rattaché à l’église et au christianisme beaucoup d’hommes instruits, dans les professions libérales surtout, qui sans cela eussent vécu dans l’indifférence ou l’incrédulité. Ces succès croissans font même que plusieurs voix s’élèvent du côté opposé pour demander que l’on coupe court à ce qu’elles appellent des négations impies. On parle çà et là de mesures disciplinaires, de restrictions à la liberté de la prédication, de quelque chose comme un nouveau synode de Dordrecht : moyens qui n’aboutiraient à rien, que repoussent également et l’esprit de tolérance généralement répandu, et le bon sens des orthodoxes instruits, et cette expérience instructive, que ce fameux synode n’a pas empêché les doctrines qu’il proscrivit de s’introduire, même de triompher dans l’église qui les avait d’abord repoussées. Ainsi M. Scholten et ses amis peuvent à chaque instant renvoyer à la barre du synode leurs plus ardens adversaires et leur faire observer que, jugés au pied des canons de Dordrecht, ils seraient hérétiques au premier chef.

Nous avons essayé de montrer quelle vie nouvelle anime les études théologiques en Hollande. Nous ne pouvons prétendre cependant à épuiser la liste de toutes les œuvres et de tous les hommes remarquables de la théologie hollandaise. On se tromperait encore en pensant que les cadres précédemment tracés renferment d’une manière absolue tous les écrivains qu’il nous resterait encore à citer[1].

  1. Parmi ces écrivains, on ne peut omettre toutefois d’en signaler quelques-uns. — M. Hoekstra, professeur au séminaire mennonite d’Amsterdam, a rédigé un excellent commentaire sur le Cantique des Cantiques, interprété d’après le thème admis aujourd’hui dans la critique allemande d’un dialogue entre Salomon et une jeune paysanne qu’il tâche d’épouser sans y réussir. — M. Busken Huet, descendant d’une famille française, parente de celle qui fournit au siége d’Avranches le célèbre évoque du même nom, écrivain d’un grand mérite et fort goûté par les amateurs du beau style hollandais, a cherché à populariser dans des Lettres sur la Bible les résultats d’une critique avancée et quelquefois aventureuse. Il a, sans le vouloir, scandalisé beaucoup d’âmes pieuses, qui auraient dû se dire qu’il y avait une preuve réelle de la divinité de l’Évangile dans le fait que des opinions aussi radicales que celles du jeune et spirituel écrivain ne l’empêchaient pas de s’y rattacher de tout son cœur. — M. A. Pierson, pasteur à Rotterdam, recherche de préférence dans la vérité chrétienne son côté esthétique, et dans des écrits estimés s’attache à maintenir les droits du sentiment religieux sans faire tort aux résultats de la critique indépendante, dont sa brillante intelligence éprouve le besoin et apprécie la valeur en parfaite connaissance de cause. — M. le professeur Moll, d’Amsterdam, s’est acquis une grande réputation par ses travaux sur l’histoire ecclésiastique. — MM. Roorda, Veth, Rutger, etc., continuent les glorieuses traditions de la philologie hollandaise en matière de langues orientales. On doit au premier une traduction de la Bible en javanais. Outre la revue théologique de Groningue dont nous avons parlé, il existe deux recueils périodiques, les Godgeleerde Bydragen études de science religieuse et les Jaarboeken voor de wetenschap Théologie annuaire de théologie scientifique, le premier plus spécialement ouvert aux hommes de la tendance libérale. Nous ne devons pas oublier non plus le Dictionnaire biblique Bybelsch Woordenbok, qui a pour but d’initier le public éclairé aux plus récens résultats de la critique appliquée aux livres saints dans un esprit à la fois respectueux et impartial.