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n’y aurait pas de religion. Mais nous sommes encore en face de l’infini inconnu, il faut continuer l’observation. C’est en contemplant la totalité des choses dans la nature et dans l’humanité que l’homme parvient à connaître celui dont elles sont la manifestation, car, l’Être absolu ne pouvant être borné par le monde visible, celui-ci est nécessairement l’expression de sa vie, et le révèle à ceux que leur développement intérieur rend capables de lire dans le grand livre de l’univers. Telle est la distinction entre la manifestation de Dieu et la révélation, qui tient une grande place dans le système de M. Scholten, et qui modifie profondément l’idée vulgaire de révélation. En fait, Dieu se manifeste à tous et toujours ; mais quelques-uns seulement savent interpréter cette manifestation continue. Ce sont les prophètes dans le sens le plus large de ce mot, ceux que l’antiquité hébraïque appela les voyans, ceux qui, tout le long de l’histoire, entendirent distinctement la voix mystérieuse dont la multitude ne percevait que des échos lointains et vagues. L’inspiration est ce don sublime conféré aux privilégiés de notre race, cette supériorité du sens religieux qui les rendit capables d’initier la foule à des vérités qu’elle n’eût pu découvrir par elle-même. Sous ce rapport, l’inspiration religieuse diffère quant à son objet, mais non quant à sa nature, des autres inspirations, poétiques, scientifiques, qui constituent le génie, et auxquelles l’humanité doit ses progrès en tout genre. Seulement il ne faut pas confondre la forme de l’inspiration avec ce qu’on peut appeler son fonds et sa substance. L’inspiré n’est pas infaillible dans l’expression qu’il donne au sentiment qui l’anime ; mais comme ce sentiment reflète nécessairement l’objet de l’intuition prophétique, il appartient à la raison réfléchie de chercher la vérité intellectuelle, le dogme, dans la parole des révélateurs. La révélation ainsi comprise n’est donc ni l’opposé de la raison, ni une promulgation de prétendus mystères imposés à la foi. À parler rigoureusement, le mystère, c’est ce qu’on ignore, et si d’un côté le mystère doit exister tant que l’homme ne sera pas parvenu à la parfaite connaissance de toute chose, de l’autre, à mesure que la révélation s’étend, le domaine du mystère diminue, ce qui est précisément le contraire du sens qu’on attache le plus souvent à l’idée de mystère. Du reste, M. Scholten pense que ce sens vulgaire est une échappatoire des orthodoxies dépassées par la raison, qui ont trouvé très commode d’abriter sous ce mot imposant les dogmes élaborés, à d’autres époques, avec la prétention justement de préciser ce qui était vague et d’éclaircir ce qui était obscur.

Nous voyons se dessiner déjà la position que M. Scholten a prise vis-à-vis des anciennes doctrines de l’église. Qu’on nous permette