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L’allocution pontificale était à peine connue dans le pays, que d’innombrables protestations, portant plusieurs milliers de signatures, furent envoyées au roi pour lui déclarer que la chère Hervormde Kerk, l’église de ses glorieux ancêtres, la mère des héros et des martyrs de la liberté, vivait toujours, n’avait pas la moindre envie de mourir, et n’entendait nullement accepter l’épitaphe outrageante qu’on avait voulu écrire, par-delà les monts, sur ce que l’on appelait son tombeau. Bref, il fallut toute la prudence combinée du roi, des chambres, du synode réformé, des classes supérieures, pour apaiser ce mouvement, dont quelques hommes politiques ont pu se servir dans l’intérêt de leurs vues, mais dont il serait absurde de nier la spontanéité. J’en parle parce qu’il fait comprendre la force que possède en Hollande la tradition protestante.

C’est à la réaction ardente dans le sens de l’ancien calvinisme qu’il faut attribuer, je crois, une exagération en sens contraire, et qui élève la voix à son tour depuis plusieurs années. L’incrédulité du dernier siècle avait rencontré peu d’échos en Hollande, comme nous l’avons dit. Pourtant elle n’avait pas été sans y recruter quelques adhérens. D’autre part, l’absence de fortes études philosophiques et un goût médiocre pour la haute spéculation avaient fait aussi que la Hollande avait suivi de loin, mais sans y prendre part, les imposantes et tragiques destinées de la philosophie allemande. Cependant il était impossible que quelques esprits ne fussent pas attirés par les puissantes idées de Hegel. On sait avec quelle facilité, après la mort du maître, l’hégélianisme dériva du côté de Strauss et d’influences bien pires encore. La crainte de voir revenir l’ancienne intolérance calviniste eut en Hollande pour résultat une curieuse alliance entre le déisme et le panthéisme, deux courans opposés en principe et qui se réunirent dans une hostilité profonde contre l’église chrétienne et même contre le christianisme. Le recueil mensuel De Dageraad, (l’Aurore) fut fondé à Amsterdam pour populariser ces idées négatives. Le plus incroyable mélange, une indescriptible bigarrure de sentimens et de vues disparates, a marqué la rédaction de ce recueil, qui compte maintenant cinq années d’existence. On y a pu voir la plaisanterie qui se croit voltairienne se joindre à des élucubrations d’un pédantisme hégélien insupportable. Disons toutefois que, dans ces derniers temps, l’hégélianisme paraissait l’emporter dans le Dageraad sur le déisme voltairien. Cette transformation est un progrès. Pourtant il nous semble que, même à son point de vue, l’organe dont nous parlons fait fausse route. Il contribue à entretenir l’étroitesse religieuse, à laquelle surtout il prétend faire la guerre, à peu près comme ailleurs le socialisme s’est montré le meilleur appui des réactions politiques.