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besoin d’être calviniste pour en appeler de ces jugemens superficiels. Ce qui fait le propre de cette doctrine, c’est un mysticisme intense se présentant sous des formes très arrêtées, et offrant un ensemble de principes qui s’enchaînent l’un à l’autre avec une rigueur mathématique. La souveraineté absolue de Dieu comme point de départ, l’assurance du salut éternel saisie et savourée par le fidèle comme point d’arrivée, voilà les deux grands intérêts religieux auxquels ce mysticisme sacrifie tout, taillant, s’il le faut, en pleine chair plutôt que de transiger. Là est le secret du charme que l’on trouva au XVIe siècle dans cette prédestination calviniste dont les sombres conséquences nous effraient tant aujourd’hui. Le fidèle, pour être assuré de son salut et devenir capable des efforts et des sacrifices que cette assurance peut seule inspirer, a besoin de penser que ce salut est fondé, tout entier et de toute éternité, non pas sur des œuvres toujours imparfaites ou des décisions humaines, mais sur la volonté souveraine d’un Dieu immuable. On peut se persuader, en étudiant par exemple le dogme calviniste de la sainte cène (et c’est par la comparaison des diverses doctrines que professent sur ce point les églises diverses du XVIe siècle qu’on peut le mieux apprécier l’esprit et les tendances respectives de ces églises), de la réalité de ce mysticisme profond, caché sous des formes qu’on serait tenté de taxer déjà de rationalistes.

Je crois donc que, tout en élevant des objections très graves et à mon avis très fondées contre le calvinisme, le penseur moderne doit lui reconnaître une haute valeur religieuse, sans laquelle l’influence qu’il exerça et qu’il exerce encore sur tant d’esprits serait incompréhensible. Il n’est pas non plus difficile de voir que la durée de son prestige suppose un état de grande exaltation, et que la froide réflexion devait nécessairement lui faire tort. D’ailleurs le calvinisme, très radical sur les points qui intéressaient directement la question du salut, avait désiré rester très conservateur sur d’autres parties du Credo antérieur de l’église. La réforme, en rejetant en grande partie la tradition romaine, ne savait pas elle-même jusqu’où il faudrait aller dans cette voie. Le fait est qu’on pouvait diriger contre plusieurs dogmes très importans qu’elle avait cru devoir conserver, la trinité, l’incarnation, le péché originel, la satisfaction offerte à la justice éternelle par la mort expiatoire du Christ, etc., des argumens très semblables à ceux dont elle s’était servie pour battre en brèche la doctrine catholique. On sait quelle peur s’empara des premiers protestans à la vue de l’unitarisme, qui commençait à poindre. Cette peur fut la grande cause de la condamnation à mort de Servet, cette faute énorme dont Calvin fut complice avec toute son époque. Si donc au XVIe siècle l’unité dogmatique