Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/924

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et la prochaine vente lui donnera 1,000 dollars. Ses voisins veulent faire comme lui, et les voilà planteurs. » Tout le mal procède donc d’un vicieux système qu’il est temps de réformer.

Le jour où la notion du travail aura pénétré aux Philippines, l’on ne sera embarrassé que sur le choix des cultures pour occuper avec profit les bras de la population indigène. Le sucre, le tabac, le café, l’indigo, le riz, le cacao, en un mot toutes les productions tropicales peuvent être cultivées avec succès dans les différentes parties de l’archipel. Sir John Bowring assure même que le coton s’y récolterait en abondance, et il engage les manufacturiers de Manchester à porter leur attention vers l’Asie orientale plutôt que d’envoyer des missionnaires à la découverte du coton africain. Depuis plusieurs années, Manille expédie en Chine de nombreux chargemens de riz. Le sucre et le café des Philippines sont connus sur tous les marchés d’Europe. Quant au tabac, la valeur de la production indigène, qui a quadruplé depuis vingt ans, dépasse aujourd’hui 25 millions de francs. La moitié de la récolte se consomme dans l’archipel ; un quart est exporté sous forme de cigares, et l’autre quart est expédié, en cigares et en feuilles, à destination de la métropole, qui se l’attribue comme revenu colonial. Le tabac de Luçon est d’excellente qualité. Il faut croire que ce produit se gâte en voyageant sous nos latitudes, et que le climat de la France lui est fatal, car il est impossible de le reconnaître dans les détestables cigares que la régie prétend nous vendre sous le nom de cigares de Manille. Je dois pourtant déclarer que de simples particuliers ont acheté à la fabrique de Manille et rapporté en France des caisses de très bons cigares. Comment la régie s’arrange-t-elle pour être si mal servie et pour nous servir si mal ? Quoi qu’il en soit, je tiens à défendre la réputation, fort compromise parmi nous, du tabac de Luçon, et à rappeler, comme l’a fait sir John Bowring, que ce produit assurerait à lui seul la fortune des Philippines. Avec La Havane et Manille, l’Espagne possède les deux métropoles du tabac.

Dans tous les pays, la constitution de la propriété exerce une grande influence sur le rendement du sol. Il serait assez difficile de définir quel est, à cet égard, le régime en vigueur aux Philippines. En droit, l’indigène ne peut être propriétaire, mais il conserve la jouissance du domaine qu’il cultive, et en fait ce droit de jouissance ou plutôt cet usage équivaudrait à la propriété. Les colons espagnols peuvent obtenir des concessions de terres moyennant le paiement d’une faible rente ; ces concessions sont rarement demandées, les Espagnols étant, comme on l’a vu, fort peu nombreux dans la colonie et appartenant pour la plupart aux professions libérales ou mercantiles. Les couvens au contraire et les corporations religieuses possèdent d’immenses propriétés ; mais on sait