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de ses nuances ? Reine ennuyée, despotique et solitaire en Orient, la nature est vraiment dans notre brumeuse Europe la compagne enjouée et rêveuse de l’homme.

Il y a une certaine servilité dans l’admiration que nos modernes artistes ont prodiguée à l’envi à la nature orientale, et je souhaiterais de bon cœur que quelqu’un d’entre eux eût la fantaisie de donner une revanche à notre nature d’Occident. Je soumets cette idée à M. Fromentin, sans trop d’illusions pourtant, car on dit que ceux qui ont vu les pays de lumière n’ont plus aucun goût pour les ciels brumeux et mélancoliques. Cependant, ne fût-ce que par amour du contraste, et comme occasion de montrer la variété des aptitudes dont son talent est doué, cette idée aurait de quoi le tenter. La lumière glacée des pays du nord doit avoir un charme singulier après la lumière rayonnante de l’Orient. Je voudrais donc qu’une plume d’artiste comme celle de M. Fromentin nous décrivît, avec le même soin et la même exactitude que la sienne a rais à décrire l’Afrique, l’éclat des neiges de Suède, la sombre verdure des bois de sapins, le charme des printemps hyperboréens, la grâce des campagnes voisines du pôle, les fines découpures des fiords norvégiens, les délicatesses élégantes des ciels violets de ces pays où expire la lumière. C’est le souhait que mon imagination formait comme contraste pendant la lecture des livres de M. Fromentin. Heureux celui qui l’entendrait avec plaisir et qui mettrait ses soins à l’accomplir ! Il trouverait assurément au bout de sa tâche, s’il l’exécutait avec la conscience et l’exactitude d’un véritable artiste, le succès mérité qui a récompensé l’auteur d’Un Été dans le Sahara et d’Une Année dans le Sahel.


EMILE MONTEGUT.