Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/909

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vaut pas le corps, l’habitant ne vaut pas le logis. On a très vite fait de visiter l’âme d’un Arabe ; on entre, et on est tout surpris de trouver le vide et la stérilité. C’est un véritable Sahara moral, qu’on dirait formé à l’image du désert, dépeuplé comme lui, animé comme lui d’une vie morne et desséchante, grandiose pourtant dans sa monotonie. On sent que ce désert moral est incapable de culture et résisterait aux plus laborieux efforts, qu’on n’y pourrait planter, avec la meilleure volonté, ni un parc à l’européenne ni un utile jardin potager. Parfois le vent de la passion se lève dans ce désert moral comme le brûlant siroco ; mais cette tempête elle-même est stérile, et ne fait que déplacer les sables qu’elle a soulevés. Cependant, comme la nature a horreur du vide, elle rassemble lentement, secrètement, péniblement ses forces, et de loin en loin elle nous donne la charmante surprise d’une oasis rafraîchissante, pleine de verdure et de chants d’oiseaux. C’est là l’impression que produisent sur moi certaines belles paroles arabes et certaines sentences qui sont vraiment des paroles d’or. On est ravi de tant de sagesse unie à tant de grâce, et de tant de noblesse unie à tant de simplicité ; mais pour arriver à ces oasis, que d’étapes inutiles à travers les sables arides, que de nids de scorpions et de vipères à cornes ! Néanmoins, pour être juste, il faut reconnaître que de même que les oasis sont le produit naturel de ce désert, et sont nées de la vie lentement amassée sous les sables, ces sentences et ces proverbes, mélange heureux de sagesse philosophique et de sensation physique, sont le résultat lentement, paresseusement élaboré de cette vie morale oisive et morne. Je sais que sans le désert les oasis seraient inutiles et même incompréhensibles ; mais en vérité ces petites îles de verdure me semblent une compensation insuffisante à cette mer de sable. Ajoutez comme dernier trait que l’âme de l’Arabe, qui est indomptable comme le désert, est insaisissable et nomade, faite pour les rêveries sans objet et la contemplation sans portée. Je sais qu’au jugement de bien des gens, je paraîtrai énoncer une énormité ; je l’énonce cependant, ne fût-ce que par vengeance des mystifications involontaires que m’ont fait subir tant de voyageurs qui me promettaient toujours des merveilles sans m’en montrer aucune, et dont l’enthousiasme ne m’a jamais paru justifié. Je n’ai jamais été payé de mes lectures sur l’Orient moderne, — car je ne parle pas, bien entendu, de l’Orient antique, — lorsque l’auteur voulait m’inspirer de l’affection pour les Orientaux et me faire visiter la portion morale de leur âme ; en revanche, j’ai toujours été amplement récompensé lorsqu’il voulait m’inspirer de l’horreur et me faire visiter la portion ténébreuse de leur être. On n’imagine pas alors les trésors de méchanceté, de cruauté, de bassesse et