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peintes de cette couleur tendre, qui semble bien plutôt faite pour notre Occident au ciel mobile que pour l’Orient. Que signifie-t-elle, et quelles inductions en tirerait un dilettante dans la science des analogies poétiques ? Signifie-t-elle que, dans l’Orient aussi, la surface est menteuse, et qu’en dépit des apparences, des physionomies impassibles, de la gravité morne des regards, les âmes n’y sont pas ignorantes des délicatesses subtiles de l’Occident, que les cœurs n’y sont pas incapables de tourmens raffinés ? ou bien est-ce un selam que le sage Orient, poétiquement moqueur, envoie à l’Occident comme un emblème de ces passions attendries, mobiles et chimériques qui lui sont chères, et qui sont plus fugitives que les fleurs du printemps ? Ces nuances sont les seules qui nous aient rappelé les jeux de lumière qui sont familiers à nos yeux.

Mais si les couleurs sont trop abondantes, elles sont toujours bien choisies, et il n’en résulte aucun ton faux, aucun charivari pittoresque. Les adjectifs de M. Fromentin, — car il est bien entendu que les couleurs ne peuvent être représentées en littérature que par des adjectifs, — sont d’une netteté et d’une précision qui en égalent l’éclat. Les mots, chez M. Fromentin, laissent toujours une impression strictement pittoresque ; ils rendent avec une exactitude scrupuleuse l’objet qu’ils veulent montrer, ils l’étreignent, le bornent comme les lignes d’une figure géométrique tracée au compas, l’éclairent comme une lumière disposée avec intention ; aucun contour n’est indécis, aucune forme n’est tremblante. Les mots imposent à l’imagination du lecteur les objets qu’ils lui présentent. Le palmier que décrit l’auteur est tel palmier et non pas tel autre, il est en quelque sorte personnifié, et il serait impossible de le désigner par l’article indéfini un. Les adjectifs de M. Fromentin font voir, et diffèrent essentiellement par là des adjectifs d’un de ses rivaux les plus célèbres dans cet ordre de littérature, qui font surtout rêver. J’en demande bien pardon à M. Théophile Gautier, mais, malgré tous ses efforts pour serrer de près les objets et peindre les surfaces des choses telles que son œil les a vues, ses descriptions sont beaucoup moins d’un peintre que d’un poète : elles ont toujours quelque coin vague et indéfini par lequel l’imagination échappe à la réalité. Ses adjectifs ont plus de beauté que de précision ; ils me parlent des choses plus qu’ils ne me les font voir, ils font sur mon esprit une impression musicale plus que pittoresque. Comme la musique, ils ont le pouvoir d’évoquer des images ; mais je ne suis jamais bien sûr que ces images soient exactement celles des objets qu’ils voulaient désigner. Je vois bien passer sous mes yeux des campagnes de telle couleur, des maisons de telle forme ; mais ces visions sont comme flottantes, et me laissent mal assuré de leur réalité. Je ne suis pas