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ce point six jours auparavant, après un trajet des plus pénibles, et qu’enfin il avait trouvé à Pointe-Victoria, sur la côte nord-ouest de l’île, un document du plus haut intérêt : c’était une des feuilles imprimées en six langues que les bâtimens de découverte ont coutume d’emporter et de jeter à la mer dans des bouteilles pour étudier la marche des courans ; elle était chargée d’écriture en tous sens, et voici ce qu’elle portait : « 28 mai 1847. Les vaisseaux de sa majesté Erebus et Terror ont hiverné dans les glaces, latitude 70° 0’ 5" nord ; longitude 98° 23’ ouest… Sir John Franklin commandant. — Tout va bien. — Gore, lieutenant, — Des Vœux, maître. »

« Tout va bien » résumait donc l’état de l’expédition à la date de mai 1847 ; mais sur la marge du même papier, transversalement, se trouvaient écrits ces mots : « 25 avril 1848, les vaisseaux de sa majesté Terror et Erebus ont été abandonnés le 22 avril, à cinq lieues nord-nord-ouest ; ils étaient enfermés dans les glaces depuis le 12 septembre 1846. Les officiers et les équipages, cent cinq hommes, sous le commandement du capitaine Crozier, ont touché terre ici par 69° 37’ 42" latitude nord et 98° Al’ longitude ouest. — Sir John Franklin est mort le 11 juin 1847, et la perte totale de l’expédition a été jusqu’à la présente date de neuf officiers et de quinze matelots. Crozier, capitaine et commandant par ancienneté ; J. Fitzjames, commandant l’Erebus. Partis ce matin 26 pour Back’s Fish river. »

Les désastres avaient donc frappé coup sur coup les infortunés marins ; le commandant était mort, il avait été impossible de dégager les bâtimens des glaces, et les équipages avaient entrepris d’accomplir le trajet qui les séparait de Back’s river, sans moyens de locomotion et presque sans ressources, car les navires n’avaient été approvisionnés que pour jusqu’en juillet 1848. C’était ce motif qui avait dû déterminer leurs équipages à les abandonner.

Animés par ces importantes nouvelles, Mac Clintock et ses compagnons redoublèrent de vigilance dans l’exploration du littoral. En continuant de remonter vers le nord, ils virent une grande embarcation posée sur un traîneau, dans laquelle se trouvaient deux cadavres qui avaient été mutilés par des carnassiers, sans doute des ours ou des loups. Contre les parois du bateau s’appuyaient debout, chargés et armés, deux fusils doubles ; cinq montres reposaient dans le fond, et dans les poches des vêtemens on trouva un Vicaire de Wakefield, un petit livre intitulé Mélodies chrétiennes avec cette inscription au-dessus du titre : From the donor to G. G. (le lieutenant Graham Gore ?), une petite Bible avec des notes marginales et des fragmens de livres de prières. Des instrumens de toilette, brosses à dents, peignes, éponges, savons, gisaient pêle-mêle avec