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vingt mètres. Deux jours et une nuit se passèrent de la sorte ; au vent avait succédé une gelée intense qui les fit cruellement souffrir ; mais qui leur apporta le salut. Le fragment de glace descendit jusqu’à une île à laquelle on a donné le nom du président de la Société royale de Londres, lord Wrottesley ; là, il s’arrêta, rattaché au rivage par la gelée, et les marins purent rejoindre leurs compagnons. Septembre et octobre s’écoulèrent ainsi dans la brume, la neige et le vent. Novembre fut signalé par une perte des plus sensibles, celle de l’ingénieur, M. Brand, qui mourut subitement. C’était un homme robuste, d’une quarantaine d’années. Un matin, on le trouva étendu sur le pont : il avait été frappé d’une congestion cérébrale. C’était M. Brand, on s’en souvient, qui manœuvrait la machine du bâtiment depuis la mort du mécanicien Scott. Désormais le yacht se trouvait presque uniquement réduit à sa voilure.

Cet hiver de 1858-1859 fut remarquablement dur ; les vents du large et le courant d’air qui s’engouffrait à travers le détroit de Bellot produisaient un froid tel que souvent il était impossible de quitter l’intérieur du bâtiment. Le gibier, qui en automne était assez nombreux, avait complètement disparu : non-seulement les rennes, les lièvres, mais aussi les ours et les phoques avaient émigré. L’atmosphère se maintenait à une température extraordinairement basse : à Noël, le thermomètre tomba un moment à 76 et 80 Fahrenheit. La température moyenne du mois fut de 33 degrés au-dessous de zéro. Souvent pas une étoile ne perçait l’obscurité glaciale du ciel, et il était impossible d’affronter l’atmosphère extérieure sans que les parties du visage mises en contact avec l’air gelassent aussitôt. Un fait véritablement étonnant, c’est la manière dont les chiens esquimaux supportaient ces rigueurs du froid, si douloureuses pour les hommes ; sans autre protection que leurs longs poils, ils se tenaient couchés sur la neige près du vaisseau, à l’abri du vent. Le 26 janvier 1859, une partie du disque solaire reparut à l’horizon, ramenant, avec un peu de clarté, la gaieté et l’espérance. Aussitôt s’achevèrent les préparatifs de la triple reconnaissance qui allait être le dernier acte et amener l’heureux dénoûment de cette laborieuse expédition.


III

À la suite de janvier et de février, qui avaient été extrêmement rigoureux, des reconnaissances furent détachées, tant pour préparer des dépôts de vivres sur les routes que l’on allait suivre que pour aller chercher des provisions complémentaires à ceux qui avaient été précédemment établis. Mac-Clintock s’avança jusqu’au cap Victoria, au sud de Boothia. Dans cette excursion, après avoir presque