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leur bien, animaient un peu ces plages désertes ; on apercevait aussi de loin en loin un renard flairant dans les crevasses et sous les pierres les œufs du rotchie, ou bien c’était un morse qui tout d’un coup levait au-dessus de l’eau, entre deux glaçons, sa face étonnée. Mais les vents du nord-est s’étaient remis à souffler, de larges chemins donnaient accès au navire, en face de lui s’ouvraient les détroits par lesquels on pénètre dans le labyrinthe des archipels arctiques ; c’était le moment de dire un adieu définitif aux terres qui font face à notre Europe et de se lancer dans l’inconnu ; l’équipage appareillait au cri de hurrah for the west !

Quelques jours après apparaissaient en effet les premières terres de l’ouest, l’île Cobourg et l’entrée du détroit de Jones, puis, plus au sud, celle du détroit de Lancastre. Le bâtiment allait tenter ce chemin. À l’entrée du passage, dans un îlot, vivaient trois familles d’Esquimaux, en tout douze personnes. Il y avait quatre hivers qu’ils avaient traversé le détroit de Lancastre sur la glace avec leurs chiens et leurs traîneaux ; le vieux chef, patriarche de cette petite colonie, était remarquable par sa calvitie, fait très rare chez ces indigènes. Il avait vu le Phœnix en 1854, et il s’enquit avec beaucoup de sollicitude de son ami le capitaine Inglefield.

Le détroit de Lancastre n’était pas entièrement gelé, comme ces Esquimaux le prétendaient, mais il était encombré de glaces, et le Fox, après avoir tenté de forcer le passage, fut rejeté par le vent et par les courans vers le sud-est, dans la baie de Pond, appelée plus généralement aujourd’hui détroit de l’Eclipse. Là les Esquimaux ont plusieurs carapemens ou villages d’été. Dans le désir de s’informer si ces naturels n’avaient pas connaissance de quelque naufrage et n’avaient pas vu depuis peu d’années des hommes blancs, Mac-Clintock, accompagné de l’interprète, d’un officier et de deux matelots, se rendit à la plus considérable de ces stations. Après avoir traversé un pays horrible, embarrassé d’obstacles de toute nature, et longé péniblement en bateau des blocs de glace à demi fondus par le dégel, les Européens se trouvèrent à l’entrée d’une baie fermée de tous les côtés par des roches à pic hautes de huit à neuf cents pieds, sorte de précipice au fond duquel sept huttes étaient dressées ; ils avaient devant eux le village de Kaparoktolik. Malgré les chaleurs du mois d’août, la surface de la baie était encore presque complètement gelée ; les rochers étaient couverts de neige, et à 300 mètres des cabanes un glacier occupait toute la vallée : tel était le lieu de plaisance choisi par ces pauvres Esquimaux pour y passer la meilleure saison. En hiver, ils vont habiter à quelque distance de ce point des huttes de neige, d’où la chasse aux rennes et la pêche du saumon leur est plus facile vers le printemps. La