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remonte environ à l’année 1780, mais depuis longtemps déjà les marins Scandinaves avaient pénétré jusque dans cette région, comme en témoigne une pierre trouvée dans un îlot voisin, et sur laquelle sont inscrits en caractères runiques quelques noms avec la date de 1135. Nos luttes ont eu un retentissement jusque dans ces froids parages : les Danois, interceptés par les croisières anglaises, ont été obligés d’abandonner la côte groënlandaise durant les guerres de l’empire ; mais depuis ils ont relevé leurs comptoirs, et Upernavick jouit de toute la prospérité que sa situation comporte. C’est au-delà de ce point que se dressent dans des solitudes vierges ces gigantesques glaciers qui, au dire des marins, par leur travail lent, régulier, continu, frappent l’esprit comme une image de l’éternité.

Le Groenland, espèce de triangle dont la base se perd dans les glaces, forme un véritable continent polaire. Jusqu’où s’étendent ses sombres rivages, incomplètement connus et coupés de banquises, c’est ce que sans doute on ne saura jamais. La découverte du passage nord-ouest a démontré qu’il est détaché de l’Amérique. La côte ouest, au-delà de l’Islande, garde le souvenir de notre compatriote Jules de Blosseville[1], qui y disparut avec son bâtiment, la Lilloise ; de récens explorateurs anglais l’ont relevée un peu au-delà du 75e parallèle. De l’autre côté, vers l’est, Inglefield et Kennedy, dans leurs explorations à la recherche de Franklin, sont allés bien plus avant dans le nord : un cap, un îlot, une montagne ont reçu de ces navigateurs les noms de Franklin, de Crozier, de Parry par-delà le 82e degré de latitude ; c’est la limite la plus proche des pôles où ait pu toucher la hardiesse humaine. Cette vaste terre a une population de huit mille âmes : sept mille Esquimaux et métis, mille Danois fixés dans les divers établissemens de la côte pour les besoins d’un commerce qui consiste dans l’échange de quelques objets européens contre de l’huile de phoque et des peaux de rennes. Le Groenland a été divisé en deux inspectorats ; on a essayé d’y acclimater quelques légumes d’Europe, qui bien souvent ne fleurissent pas ; on y a amené des chèvres, mais il faut les tenir enfermées pendant huit mois de l’année.

Les Esquimaux groënlandais sont doux et bienveillans. Sans être directement soumis à l’administration danoise, ils lui sont fort attachés, et il faut convenir que celle-ci les traite paternellement. Des missionnaires sont venus s’installer au milieu de ces pauvres gens pour les instruire et les prêcher ; il n’y a pas de district qui n’ait son ministre et son maître d’école. On leur donne l’instruction gratuite ;

  1. On trouvera dans les premières années de la Revue vol. I, II, 1831, et livraison du 15 janvier 1832 divers travaux de M. Jules de Blosseville.