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êtes-vous ici ?… Je n’y rencontre jamais personne… Me cherchiez-vous donc ?

— Oui, répondit Philip avec une égale franchise, mais non sans quelque embarras. J’ai guetté hier votre sortie, mais vous ne vous êtes pas promenée. Aujourd’hui, du haut des levées de la Ripple, je vous ai vue prendre le chemin des Fonds-Rouges, et j’y suis venu à votre rencontre… J’espère que vous me pardonnerez.

— Vous pardonner ?… Quoi ?… Je suis heureuse de vous revoir. Je n’ai jamais oublié combien vous fûtes bon pour moi. Nous avons eu bien des chagrins depuis lors, et je ne savais si vous pensiez encore quelquefois à nous.

— Plus souvent que vous à moi, bien certainement, reprit Philip d’une voix tendre… Voyez plutôt.

Il ouvrit à ces mots une petite boîte de chagrin, et plaça sous les yeux de Maggie une petite aquarelle où elle était représentée tout enfant, avec le même costume qu’elle portait dans la salle d’études, chez M. Stelling, le jour où elle avait promis à Philip de ne l’oublier jamais.

— L’étrange petite fille que j’étais !… dit Maggie, dont un charmant sourire attestait la satisfaction. Mais vous me trouviez bien ainsi… Et maintenant ? reprit-elle avec une franchise qui excluait toute pensée de coquetterie. Suis-je telle que vous vous attendiez à me retrouver ?

— Non, Maggie, répondit Philip après un moment de silence et d’hésitation. — L’aimable enfant ici redevint sérieuse. — Non, reprit-il… Vous êtes bien plus belle que je n’aurais osé l’espérer.

Comment redire la douce et chaste causerie qui suivit ce premier échange d’amicales paroles ? Aucune arrière-pensée dans le cœur de Maggie. Elle se sentait aimée, elle en était heureuse. Une âme sympathique, Une intelligence délicate s’ouvraient à ses confidences ; ses chagrins, ses longs ennuis, son isolement, elle ne songeait à rien déguiser. Un confident, un ami, un frère comme Philip, était pour elle la réalisation d’un rêve souvent caressé. En échange de la vive affection qu’il lui témoignait et dont un instinct tout féminin lui garantissait la sincérité, n’avait-elle pas à lui offrir une compassion. attendrie, un pur et fraternel dévouement ? Puis cette rencontre imprévue était comme une oasis au milieu de l’aride solitude où se traînait sa vie. Maggie ne retrouvait Philip que pour le perdre aussitôt. Leurs destinées ne pouvaient se mêler qu’un instant, et, cet instant passé, d’insurmontables obstacles allaient de nouveau les désunir. Telle était la pensée de la jeune fille. Et son étonnement fut extrême quand, au nom de leur amitié, au nom de ses tristesses, au nom de la pitié qu’il lui inspirait (et il s’avouait, non sans une certaine angoisse, que cette pitié dominait chez elle tout