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complexe, car elle exigerait la connaissance de faits essentiellement contingens et instables. Ce chiffre a dû nécessairement varier avec le temps, suivant les exigences ou les résultats de la guerre, et s’accroître au fur et à mesure que l’armée permanente s’est grossie des corps auxiliaires appelés du dehors et des indigènes qui entraient dans ses rangs. Toutefois, en procédant par voie d’induction, en mettant à profit les témoignages oraux dont nous pouvons nous autoriser, parce qu’ils sont justifiés par une résidence de plusieurs années au Caucase, il ne nous sera pas impossible d’arriver à une détermination, sinon rigoureuse, du moins très approximative. D’après ces témoignages, l’armée était dans l’origine, vers 1823, à l’époque où Yermolof la commandait, de 22,000 hommes de troupes régulières. Augmentée d’année en année, sous les successeurs à Yermolof, Paskiévitch, Rosen, Grabbe, Golovin, Neidhardt, jusqu’à 150 ou 160,000 hommes, elle en comptait au moins 200,000 sous Vorontzof, en 1844. Depuis la nomination du gouverneur actuel, le prince Bariatinsky, en 1856, elle en réunit 300,000 environ. Ce dernier chiffre suppose nécessairement l’armée au grand complet, et comprend à la fois les troupes régulières, les Cosaques et les indigènes, ainsi que tous les corps spéciaux, état-major-général, états-majors de chaque division, etc.

Dans l’évaluation de ces forces en général, il faut d’abord faire la part des conditions très inégales où sont placées les trois catégories que nous avons indiquées relativement aux chances de destruction qui pèsent sur elles, comme aux probabilités plus ou moins grandes que nous avons d’en connaître le nombre réel. En ce qui concerne l’armée régulière, il faut signaler l’action désastreuse d’une administration dont les concussions, les abus et l’insouciance pour les besoins matériels du soldat sont notoires, je ne dis pas seulement en Russie, mais dans toute l’Europe. S’il est une accusation avérée, tant elle a été souvent répétée, c’est que la majeure partie de la bureaucratie est infectée d’un esprit de corruption et de rapine, et ce vice, flagellé publiquement par des écrivains de talent, déploré par tous les cœurs honnêtes et patriotiques, a résisté à tous les efforts des souverains pour le déraciner. Une autre observation qu’il ne faut pas oublier lorsqu’il s’agit de l’armée russe, et qui a été reproduite bien des fois, c’est l’infériorité du chiffre réel par rapport au chiffre indiqué sur le papier. J’ai déjà dit que, dans les régimens d’infanterie de ligne par exemple, les cadres sont de 1,047 hommes par bataillon, mais que ce nombre officiel et ostensible descend, suivant des témoignages de visu, à un effectif de 600 combattans en temps ordinaire. Que sera-ce donc en campagne, où les fatigues sont beaucoup plus meurtrières que tous les engins de destruction de l’ennemi ! « Notre effectif, me disait un officier dans son langage pittoresque,