Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/796

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur sein sortaient un Stenko (Etienne) Riazin et un Pougatchef, qui ont inscrit leurs noms en lettres de sang dans les annales de la Russie ! La muse populaire redit encore tout bas aujourd’hui les exploits du premier de ces deux terribles rebelles sur les bords du Volga. Son frère Riazin, serf fugitif, qui avait trouvé un asile et la liberté chez les Cosaques du Don, amena un renfort de ces Cosaques à l’année du tsar Alexeï Mikhaïlovitch. Après une glorieuse campagne à laquelle il prit une part active, il demanda au général russe, le prince George Alexeïévitch Dolgorouky, la permission de se retirer. Celui-ci, qui avait peut être besoin de ses services, la lui refusa ; les Cosaques, peu patiens de leur nature, n’hésitèrent point à s’en passer, et regagnèrent leurs steppes, à l’insu même de Riazin. Dolgorouky, furieux, s’en prit à celui-ci, qu’il avait sous la main ; il le fit pendre. Ses compagnons jurèrent de venger leur ataman, injustement mis à mort, et le remplacèrent par son frère Stenko. Pendant trois ans, ce ne fut qu’une suite de déprédations et de massacres dans les provinces orientales. Stenko égorgeait sans pitié les voïévodes, les nobles, surtout les moines et les prêtres, auxquels il avait voué une haine implacable. Après avoir pris et mis à sac plusieurs villes, entre autres Yaïk et Astrakhan, après avoir battu les troupes envoyées contre lui, il fut enfin défait par Dolgorouky, conduit à Moscou, et périt écartelé le 6 (17) juin 1671[1].

La révolte organisée et conduite par Pougatchef fut un soulèvement des masses populaires placées sous le joug de l’esclavage, une véritable jacquerie. C’était un paysan échappé des domaines du prince Odoïevsky, et qui trouva de l’appui chez les Cosaques du fleuve Yaïk, mécontens de la Russie. Soutenu par eux et par des bandes de Kirguiz, de Baschkirs et de Tartares Boudziak, il désola le gouvernement d’Orenbourg, se faisant passer pour Pierre III, l’époux infortuné de Catherine II, échappé, disait-il, à ses meurtriers. Il attira à lui tout ce qu’il y avait de germes d’opposition en proclamant l’affranchissement du servage pour les paysans, du joug de l’église officielle pour les dissidens religieux (raskolniki). Ce marquis de Pugatschef, dont Catherine et Voltaire plaisantaient si agréablement dans leur correspondance, finit par se rendre si redoutable, que la grande impératrice avouait au philosophe de Ferney que cet homme lui avait donné du fil à retordre, qu’elle s’était occupée pendant six semaines de cette affaire avec une attention non interrompue, et qu’après Tamerlan il n’y en avait pas qui eût plus détruit l’espèce humaine. La trahison vint à bout du rebelle,

  1. Voyez Relation des particularités de la révolte de Stenko Riazin contre le grand-duc de Moscovie, par un marchand anglais résidant alors en Russie, nouvelle édition, par M. le prince, Augustin Galitzin.