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assez choisir parmi les Russes ! prenons maintenant parmi ces petits Polonais ; ils se sont bravement comportés, il faut les encourager. » En empruntant ce trait à M. de Gilles, je dois ajouter ce qu’il ne dit pas, afin d’expliquer la légère nuance de dédain et d’ironie qui perce dans cette expression de petits Polonais (Poliatchkov), et qui se mêle ici à un mouvement de générosité. Après la malheureuse issue de l’insurrection de 1831 et la chute de Varsovie, trente mille prisonniers furent envoyés au Caucase et incorporés à l’armée russe. Les enfans de la Pologne qui prirent part au combat de la Laba avec les Kabardinskii étaient de ce nombre, et ceux-ci avaient à se réconcilier avec eux. En effet, les rapports entre les Russes et les Polonais furent dans le commencement si envenimés que les officiers durent tenir les uns et les autres séparés. Dans les compagnies, ils refusaient de se servir des mêmes ustensiles pour la préparation des alimens et de s’asseoir ensemble à la table commune.

Ce n’est pas seulement du courage, de la fermeté et une activité industrieuse qu’exige la guerre du Caucase, c’est surtout une vigilance incessante et un esprit de ruse à toute épreuve. De tous côtés, à chaque instant du jour et de la nuit, sont là des peuples pillards et maraudeurs, alertes et fins comme les peaux-rouges de Cooper, guettant les hommes et les animaux, les saisissant lorsqu’ils s’écartent avec une dextérité de prestidigitateur ; mais ils sont en face d’adversaires qui sous ce rapport ne leur cèdent en rien : ce sont les Cosaques qui, des bouches du Danube aux confins de la Sibérie, sont postés en sentinelles vigilantes, et qui, en campagne, fournissent des éclaireurs incomparables au jugement de Napoléon. Quel admirable parti la Russie a su tirer de cette vaillante milice, jadis si turbulente lorsqu’elle existait comme nation indépendante, et maintenant si bien assouplie et disciplinée depuis que la Pologne, par une suite de fautes inconcevables et par la pire de toutes, le déni de la liberté religieuse et de l’égalité politique, l’a jetée dans les bras des tsars moscovites !


II

Le vaste cordon de stanitsas et de forts qui se prolonge parallèlement au versant nord du Caucase aboutit à Stavropol, quartier-général de l’armée cosaque. La première des trois divisions de cette armée, campée depuis la presqu’île de Taman jusqu’à la hauteur de l’embouchure de la Laba, est celle des Tchernomorskii ou Cosaques de la Mer-Noire. Ils descendent de ces fameux Zaporogues qui, retranchés au-dessous des cataractes du Dnieper, s’élancèrent si souvent en essaims tumultueux et formidables sur leurs voisins, la Pologne, la Russie, l’empire ottoman et les états des khans de Crimée.