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caucasiennes elles-mêmes et sur l’indomptable chef dont elles ont si longtemps secondé les efforts.


I

L’isthme caucasien, placé entre deux continens et deux mers, l’Europe et l’Asie, la Mer-Noire et la Mer-Caspienne, semble être un pont destiné par la nature à mettre en communication ces deux mondes si différens. C’est par là que se sont frayé un passage les immigrations qui ont laissé dans ces montagnes les restes d’une foule de peuples et cette multitude de langages, radicalement dissemblables, qui font du Caucase une véritable tour de Babel, et pour le linguiste un problème rebelle à toutes les investigations. Cet amalgame de tribus et d’idiomes que remarquait Strabon[1] il y a près de deux mille ans se perpétue encore aujourd’hui.

La chaîne qui ferme l’isthme d’un bout à l’autre se déploie en ligne diagonale dans l’intervalle du 45e degré de latitude au nord-ouest et du 40e au sud-est, sur une longueur d’environ mille verstes ; mais en ligne droite, à partir de Redoute-Kalé, sur la côte de la Mer-Noire jusqu’au défilé de Derbend (Albaniœ Pylœ), sur la Caspienne, la distance n’est guère que de cinq cents verstes. Cet énorme rempart plonge ses premières assises au fond du liman ou delta du Kouban, aux environs d’Anapa ; il se prolonge à travers l’isthme en se partageant vers l’extrémité orientale en deux murailles : — l’une, au nord-est, aboutissant à Derbend ; l’autre, au sud-est, Rabaissant par une pente qui va s’effacer dans la plaine arrosée par la Koura ou Cyrus avant d’atteindre la pointe de Bakou.

Sur le versant nord comme sur le versant méridional, ce rempart est flanqué de grands fleuves qui en sont comme les fossés naturels. Aucune autre contrée peut-être n’est pourvue d’un système d’eaux plus riche, mieux approprié à l’établissement de lignes stratégiques comme aux échanges du commerce. Du pied du gigantesque Elbourz et du mont Khokhi, au centre du massif caucasien, jaillissent, vers le nord, le Kouban et le Térek, qui, dans une direction parallèle au versant nord, vont se jeter, le premier dans la Mer-Noire et le second dans la Caspienne. Au sud, dans la Transcaucasie, cette dernière mer reçoit la Koura, qui parcourt toute la Géorgie pour aller unir ses eaux à celles de l’Araxe, le fleuve du bassin arménien. Du côté opposé, le Rion, qui est l’ancien Phase, offre aux bâtimens un cours navigable jusqu’à Marane dans l’Iméreth, où remontaient, à ce qu’il paraît, les embarcations des marchands grecs dans l’antiquité, des Byzantins et plus tard des Génois au moyen âge.

  1. Géographie, livre XI, page 343, édition de Casaubon.