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Pamiatnaïa Knijka, ou almanach de la cour impériale. Sans aller chercher, comme on l’a fait si souvent, la raison de ce silence et de ce défaut de renseignemens dans un soin jaloux de conserver des secrets d’état, on peut l’expliquer tout naturellement par une indifférence profonde pour toute communication avec le dehors, pour tout appel à l’opinion publique en Europe, de la part d’une nation encore éloignée, dans la voie du progrès et de la maturité, des conditions qui régissent les sociétés modernes de l’Occident.

Parmi les relations sur le Caucase dues à des travaux particuliers, celle de M. Frédéric Bodenstedt, quoique vieillie par le cours précipité des événemens qui se sont accomplis depuis l’apparition de la seconde édition (1854), mérite d’être signalée comme une excellente étude ethnographique sur les tribus montagnardes, comme un résumé suffisant, quoique très succinct, de leur héroïque résistance, et des doctrines religieuses du muridisme. Les opinions personnelles de M. Bodenstedt le rendent peu favorable à la Russie dans sa manière d’apprécier les faits, mais nous n’avons point ici à lui en demander compte, pas plus qu’à l’auteur des Lettres sur le Caucase et la Crimée, M. de Gilles, de la sympathie déclarée qu’il professe, et qui est toute naturelle de sa part, pour le pays où il a trouvé une patrie d’adoption. Nous n’avons au contraire qu’à nous féliciter de cette différence de vues, source d’une comparaison profitable à la vérité. Le livre de M. de Gilles a surtout le mérite d’être le dernier venu, et de fraîche date ; les données qu’il contient ont été recueillies à une époque antérieure de quelques mois seulement à l’expédition qui a mis fin aux destinées politiques de Schamyl. Parti de Saint-Pétersbourg à la fin de juillet 1858 pour aller rétablir sa santé aux eaux déjà renommées de Piatigorsk, à l’entrée nord de la route principale qui traverse le Caucase, M. de Gilles, attiré par les incomparables magnificences que la nature déploie dans ces régions alpestres et par les souvenirs historiques que ces lieux réveillent, continua sa route en longeant le versant septentrional du Caucase jusqu’aux environs de la Mer-Caspienne. Entré dans la Grande-Tchetchenia, et coupant la chaîne en diagonale jusqu’à’son milieu, où s’élève la forteresse de Vladikavkaz, et jusqu’au défilé de Dariel [Caucasiœ Pylœ), il atteignit Tiflis, devenue la capitale florissante de la Transcaucasie[1]. Quelques pas de plus vers le sud le conduisirent au couvent d’Edchmiadzïn, l’antique sanctuaire de la nation arménienne. De là, remontant vers le nord-ouest, par l’ancien pachalik d’Akhaltzikh, enlevé à la Turquie pendant la guerre

  1. La population de Tiflis est aujourd’hui de 38,375 habitans, d’après le calendrier méciatsoslov de l’académie impériale des sciences de Saint-Pétersbourg pour 1860.