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respecta en lui l’héroïsme dans le malheur. Malgré les représentations des officiers qui l’entouraient, il ne voulut point que le prisonnier fût désarmé pour être conduit en sa présence.

Maintenant que la chute de ce redoutable ennemi a rendu la Russie maîtresse de la plus grande partie du Caucase, nous voudrions jeter un coup d’œil sur la situation politique et militaire que ce succès lui a faite dans cette contrée, nous rendre compte des difficultés qu’elle y a rencontrées, de celles qu’elle doit encore surmonter pour la pacifier et se l’approprier entièrement. Le Caucase une fois réuni aux deux provinces qu’il avoisine et qu’il commande, la Géorgie et l’Arménie, tout en protégeant de sa masse imposante la Russie et en la couvrant vers le sud, le Caucase sera pour les tsars une de leurs plus magnifiques acquisitions comme position militaire et commerciale. Il y a donc intérêt et opportunité à étudier les élémens de force et d’action mis en œuvre pour opérer cette conquête, et à calculer la valeur de cet accroissement de territoire pour le vaste empire qui est prêt à l’absorber. Malheureusement les notions à l’aide desquelles nous pourrions nous guider sont rares, incomplètes, et le plus souvent même elles font entièrement défaut. La guerre du Caucase attend encore son historien. Soit insouciance, soit discrétion imposée, aucun de ceux qui l’ont dirigée ou qui y ont pris part ne s’est préoccupé d’en retracer les annales ou de nous faire connaître la contrée qui en a été le témoin. Sous ce rapport, la pénurie paraît d’autant plus grande, l’infériorité d’autant plus sensible, que nous avons comme contraste la savante et féconde activité avec laquelle d’autres régions placées dans des conditions analogues ont été explorées et décrites. On formerait une bibliothèque entière avec les seuls documens que le gouvernement britannique et le gouvernement français ont publiés, l’un sur l’Inde, l’autre sur nos possessions d’Afrique, tandis qu’il n’existe en Russie sur le Caucase aucun ouvragé officiel, même de la plus mince valeur[1]. Les seuls matériaux qui ont été à notre disposition, et qui émanent d’une source authentique, sont les bulletins et les rapports des chefs de corps, tels que le gouvernement russe les a livrés à la publicité dans les journaux qui sont ses organes avoués, le Kavkaz (Caucase), journal de Tiflis, et le Rousskii Invalid (Invalide russe), qui paraît à Pétersbourg. Citons aussi les statistiques très sommaires de l’armée consignées dans l’Annuaire du Caucase [Kavkazskii kalendar) ainsi que dans le

  1. Nous savons qu’il se trouve dans les archives du gouvernement, à Tiflis et dans les bureaux topographiques placés dans différentes localités du Caucase, les matériaux les plus précieux pour la géographie et l’histoire de cette contrée. Il a été question un moment de livrer ces matériaux à la publicité ; mais ce projet, comme tant d’autres, est resté sans exécution.