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âges, d’approprier les essences à la nature du sol, d’exécuter en temps opportun tous les travaux nécessaires pour augmenter la production ligneuse. C’est par ce moyen seulement qu’on aura une forêt exploitée avec ordre et méthode, et qu’on saura pour combien elle doit compter dans le bilan de la fortune nationale.


III

L’aménagement est donc une opération fort complexe qui, touchant à la fois aux questions économiques et aux questions culturales, a été jugée assez importante par le législateur pour qu’il ait cru devoir réserver au chef de l’état le soin de la sanctionner dans les forêts domaniales comme dans les forêts communales. Nous espérons avoir réussi à montrer en quoi elle consiste, et à faire comprendre, contrairement à l’opinion reçue, que l’expression la plus élevée de la richesse forestière n’est pas précisément la forêt vierge, mais la forêt cultivée et exploitée suivant les prescriptions de la science. Une telle opinion pourra n’être pas adoptée par ceux qui, se plaçant au point de vue essentiellement pittoresque, n’aiment que le spectacle grandiose d’une végétation désordonnée. Que de clameurs n’ont point soulevées quelques serais de pins faits dans les gorges de Franchard et d’Apremont de la forêt de Fontainebleau ! C’était dépouiller de toute poésie ces âpres solitudes, et enlever à ces amas de roches entassées les unes sur les autres le caractère sauvage qui faisait leur beauté. C’est l’avenir de l’art, lui-même qu’on invoquait contre un pareil sacrilège. Nous l’avouerons en toute humilité, nous sommes de ceux qui pensent qu’avant de rêver il faut vivre, et devant l’énorme quantité de bois dont nous avons besoin, nous ne nous sentons pas le courage de demander qu’on laisse les arbres de nos forêts tomber de vétusté ; en entendant la branche morte craquer dans le sentier, nous pensons malgré nous à tant de pauvres diables qui, faute de feu, soufflent dans leurs doigts. Il s’en faut d’ailleurs qu’une forêt perde son cachet imposant, pour être soumise à des exploitations régulières. Dominée par l’homme, la nature est parfois plus belle qu’abandonnée à elle-même.

Il y a peu de peuples d’une nature plus rêveuse et plus poétique que les Allemands, et il n’y en a pas qui aiment mieux leurs forêts ; c’est en les soignant, en les cultivant, qu’ils témoignent de leur amour, et ne se croient pas des barbares pour en tirer des produits annuels. Ce sentiment est si prononcé chez eux qu’ils savent, dit-on, plus de gré au grand Frédéric du soin qu’il a donné aux forêts que de toutes les victoires qu’il a remportées. C’est en effet du