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fit, ou peu s’en faut, rentrer les forêts particulières dans le droit commun. Le martelage de la marine, qui avait été maintenu pendant une période de dix années après la promulgation du code forestier, n’est plus exercé depuis fort longtemps, et l’interdiction du défrichement elle-même se trouve aujourd’hui subordonnée à des cas spéciaux déterminés par la loi[1]. Hors de là, un propriétaire peut disposer de ses bois comme il l’entend, sans obéir à d’autres considérations que son intérêt ou son agrément.

Puisque ces mobiles, ainsi que nous venons de le voir, sont impuissans à garantir l’approvisionnement continu du marché en produits ligneux, et que la réglementation, complètement insuffisante dans ses résultats, est d’ailleurs contraire aux principes les plus élémentaires du droit public, il ne reste à la société d’autre ressource, si elle ne veut être exposée à manquer un jour de bois, que de se constituer elle-même propriétaire de forêts, et de se rendre à elle-même, par l’intermédiaire de l’état, un service que personne autre ne peut lui rendre. Cette nécessité est si universellement sentie que dans tous les pays de l’Europe, en France, en Allemagne, en Russie, en Angleterre même, une grande partie du sol boisé se trouve entre les mains de l’état, tandis que nulle part on ne voit celui-ci se faire cultivateur ou industriel[2] ; mais une pareille dérogation aux principes qui règlent les attributions gouvernementales ne peut se justifier qu’à une condition, c’est que l’état n’obéira point aux mêmes mobiles que les particuliers, car si, entre ses mains, la propriété forestière ne devait pas trouver la garantie de stabilité et de bonne administration que ceux-ci ne peuvent lui donner, il n’y aurait aucune raison de faire pour elle cette exception.

Le rôle de l’état est en effet tout différent de celui des particuliers. Si ceux-ci, comme producteurs, recherchent avec raison le plus grand profit pécuniaire possible, l’état ne doit agir que dans l’intérêt du consommateur. À une époque encore peu éloignée de nous, le souverain, propriétaire de tous les biens domaniaux, était maître d’en disposer comme il l’entendait et bénéficiait personnellement de leurs produits. Il n’en est plus ainsi ; l’état aujourd’hui, c’est la nation tout entière ; son intérêt, c’est l’intérêt de tous. Aussi doit-il, dans l’exploitation des forêts qui lui sont confiées, rechercher

  1. Loi du 19 juin 1859.
  2. Il a été question à différentes époques, notamment sous la restauration, d’abandonner l’exploitation des forêts domaniales à des compagnies particulières. Il est facile de comprendre, par ce que nous avons dit, combien peu une pareille combinaison était praticable, et de se faire une idée des complications administratives qu’un contrôle sérieux eût amenées. Une proposition de cette nature n’a pu émaner que de spéculateurs qui espéraient s’enrichir aux dépens de la fortune publique, ou de certains fanatiques du self-government qui, faute de le bien comprendre, tombaient précisément dans l’écueil qu’ils voulaient éviter.