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Les cartons, qui à bien des égards tiennent de la décoration murale plus encore que de la peinture de chevalet, doivent être placés au premier rang parmi les ouvrages dramatiques de Raphaël. Ces compositions sont très importantes par les dimensions ; elles le sont bien davantage par l’abondance, la force et l’imprévu de l’invention, la liberté, la spontanéité de l’exécution, un caractère frappant, une originalité vive, une élévation de style, que Raphaël est loin d’avoir mis au même degré dans toutes ses œuvres. Ces grands ouvrages, commandés par Léon X pour servir de modèles aux tapisseries destinées à orner dans certains jours les murs du presbytère de la chapelle Sixtine, et que le pape voulait faire exécuter dans les célèbres fabriques de Flandre, furent commencés en 1514 et terminés l’année suivante. Ils étaient au nombre de dix et même de onze, en y comprenant le Couronnement de la Vierge ; mais trois d’entre eux, Saint Paul en prison, le Martyre de saint Etienne et la Conversion de saint Paul, sont perdus. Heureusement que les tapisseries du Vatican qui ornent la galerie dite degli Arazzi, qui nous sont parvenues dans un assez bon état de conservation, permettent de compléter ces lacunes et de se représenter d’une manière suffisante cet admirable ensemble. Les sept cartons qui nous restent, et qui sont le plus bel ornement de la galerie d’Hampton-Court, ont malheureusement beaucoup souffert. Les ouvriers d’Arras les avaient découpés en morceaux pour faciliter leur travail. Les cartons restèrent entre leurs mains jusqu’au moment où Charles Ier les acheta. Ils furent mis en vente avec les autres ouvrages d’art appartenant à ce prince, et Cromwell en ordonna l’acquisition ; mais ce ne fut que sous le roi Guillaume qu’on en réunit les fragmens et qu’on les mit dans l’état où ils sont aujourd’hui. Malgré tous ces accidens, malgré les restaurations maladroites qui, plus encore que le temps et les hasards, les ont dégradés, quoique Raphaël n’y ait pas seul travaillé, et que la main de ses élèves s’y montre dans plus d’un endroit, ils restent un des plus splendides monumens de l’art moderne. Ce ne sont pas des cartons tels que ceux que l’on prépare pour servir à la peinture à fresque, mais de vrais tableaux coloriés à la détrempe, dont les teintes plates sont relevées par des hachures à la craie noire. Ce genre de peinture permet une exécution rapide et pour ainsi dire sommaire. Il a le charme de la fresque, sa douceur et sa clarté, et il permet cependant les retouches que la décoration murale ne comporte pas. Dans ces belles et savantes improvisations, Raphaël ne fut gêné par aucun des embarras, aucune des lenteurs et des difficultés d’exécution particulières à des œuvres de cette importance. Il put s’abandonner sans réserve à sa verve créatrice et donner à ces compositions le caractère poétique et spontané qui les distingue à un si haut degré.