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figures de femmes si connues par la gravure qui symbolisent la Justice, la Force et la Modération, et dans lesquelles Raphaël a dépassé par la grandeur, l’élévation, la simplicité du style, aussi bien que par le caractère magistral de l’exécution, tout ce qu’il avait fait jusqu’alors. Ces figures présentent une ample inspiration qui ne lui est pas habituelle, et qu’il ne retrouvera qu’à deux ou trois reprises dans les Sibylles de la Pace, dans quelques-unes des figures des cartons d’Hampton-Court et dans la Vision d’Ezéchiel.

Le succès des peintures de la chambre de la Signature fut immense, et Jules II confia immédiatement à Raphaël la décoration d’une nouvelle salle qui prit de la plus importante des fresques que le Sanzio y exécuta le nom de salle d’Héliodore. Raphaël commença ce travail dès 1512, et il le poursuivit avec une extrême activité, car la Messe de Bolsène et l’Héliodore étaient terminés ou au moins très avancés au moment de la mort de Jules II, c’est-à-dire en février 1513. Les deux autres compositions, la Délivrance de saint Pierre et l’Attila, dans lesquelles le peintre a introduit le portrait de Léon X, comme il avait fait de celui de Jules dans la Messe de Bolsène et dans l’Héliodore, ne furent commencées qu’après l’élévation de Jean de Médicis au trône pontifical. Ces décorations font le contraste le plus complet avec celles de la salle de la Signature. Autant les premières sont abstraites, Calmes, conçues en dehors de toutes préoccupations du temps, autant celles-ci sont dramatiques, passionnées, pleines d’allusions aux événemens d’alors, de flatteries à l’adresse des deux papes, et la force de la couleur, la bizarrerie des effets semblent également refléter la violence des sentimens qui les inspirèrent. Une fois cette donnée admise, quelle variété, quelle richesse, quelles ressources d’invention, ne trouvera-t-on pas dans ces quatre compositions ! quelle énergie et quelle passion dans les trois femmes qui sont à genoux sur le devant du tableau d’Héliodore[1] ! quel mouvement dans le cavalier et dans les deux anges qui l’accompagnent ! La fresque est-elle jamais arrivée à une plus grande puissance de couleur et d’effet que dans la Messe de Bolsène ? Et Raphaël ou tout autre peintre a-t-il jamais donné aux têtes de ses personnages des expressions plus fortes et plus profondes que celles de Jules II et des cardinaux qui l’entourent dans ce tableau ?

Quoiqu’à l’époque où nous sommes parvenus Raphaël eût déjà de

  1. C’est dans celle de ces trois femmes vues de dos qui tourne la tête que paraît pour la première fois la Fornarina M. Gruyer, Essai sur les Fresques de Raphaël. Depuis cette époque, Raphaël a mis la Fornarina dans presque tous ses ouvrages de grand caractère. On la reconnaît dans l’Incendie du Bourg, dans la Vierge au poisson, dans celle de saint Sixte, dans la mère du possédé de la Transfiguration, etc.