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monumens et ses innombrables vestiges de l’art antique, était fait pour causer une vive impression à son intelligent esprit. Le vieux pape n’était pas seulement un homme de guerre et un grand politique : enthousiaste de tout ce qui pouvait contribuer à la gloire de l’Italie et jeter de l’éclat sur une ville dont il voulait faire la capitale réelle de son pays en lui rendant son ancien lustre, il avait attiré à Rome les savans, les poètes, les artistes les plus célèbres de ce temps. Raphaël était lié avec les Castiglione, les Bembo, les Giovio. Sa bonne grâce, son aménité, son talent, lui attiraient chaque jour de nouveaux amis, qui mettaient à sa disposition des idées, des conseils, des renseignemens de toute sorte les plus propres à surexciter son intelligence et à faciliter son travail. D’un autre côté, les salles de l’étage inférieur du Vatican étaient ornées de fresques importantes de Pinturicchio[1]. Celles où Raphaël lui-même travaillait avaient été décorées par le Pérugin, par Signorelli, par Piero della Francesca et d’autres peintres célèbres de l’âge précédent. À quelques pas des Stanze, Michel-Ange commençait ses gigantesques travaux de la Sixtine, et ces motifs d’émulation, en venant se joindre à un concours inouï de circonstances heureuses, lui donnaient le désir et le pouvoir de se surpasser lui-même.

Cependant Raphaël ne rompit pas brusquement avec ses habitudes anciennes. Il commença la série des compositions qui devaient décorer la salle de la Signature par celui des quatre sujets adoptés qui lui permettait le mieux d’utiliser ses premières études, et qui se prêtait le mieux aussi au style qu’il avait employé jusqu’alors. Il se donnait ainsi le temps de mûrir ses projets, de faire les recherches, de réunir les renseignemens nécessaires pour mener à bonne fin une entreprise sans précédens. La fresque de la Religion, appelée plus communément la Dispute du Saint-Sacrement, peinte dans le courant de l’année 1509, rappelle par son ordonnance générale la composition des mosaïques dont Raphaël avait vu de si beaux exemples à Florence et à Rome. Dans la partie inférieure du tableau, et des deux côtés de l’autel sur lequel est placé le saint sacrement, sont groupés les quatre docteurs de l’église latine, des saints, des pères de l’église, et parmi eux Dante, Savonarole et Bramante. Tous ces personnages discutent avec animation sur le dogme mystérieux. Au-dessus, dans la partie moyenne de la composition, entre la Vierge et saint Jean-Baptiste, se trouve le Christ dans sa gloire, assis sur les nuages, la poitrine découverte, les bras étendus. À droite et à gauche, rangés symétriquement en demi-cercle, sont les apôtres et les patriarches. Dieu le père, sous la figure d’un vieillard, tenant le monde d’une main, de l’autre le bénissant, et entouré

  1. Les appartemens Borgia, qui font aujourd’hui partie de la Bibliothèque Vaticane.